Lundi, 24 mars 2025
• • •
    Publicité

    Le premier documentaire sur le SIDA, presque 40 ans plus tard – Entrevue avec Nik Sheehan

    Sorti en 1985, le film No Sad Songs est considéré par plusieurs comme étant le premier documentaire portant sur la crise du SIDA. Cette œuvre, ainsi que d’autres œuvres de son réalisateur, le canadien Nik Sheehan, est offerte sur la plateforme MUBI depuis l’été. Fugues a pu en discuter avec lui.

    La majorité de tes œuvres se retrouvent maintenant sur la plateforme MUBI. Comment te sens-tu par rapport à ça?
    Pour moi, c’est incroyable, parce que ça a été fait il y a plusieurs années, et que ça a été fait maison. En plus, j’étais quelqu’un d’extrêmement intransigeant, ce qui [en rétrospection] était probablement stupide. Mon film Symposium: Ladder of Love a mené à ma faillite financière, ce qui est relativement normal dans cette industrie. Mais maintenant, en 2023, je suis là à en parler avec toi, et ça montre pour moi que ça a valu la peine, et ce, de plusieurs manières.

    Quels ont été les principaux défis dans la création de No Sad Songs?
    Je ne voulais pas cacher les visages, pas montrer de honte. On voulait que les personnes atteintes du SIDA s’expriment ouvertement. À l’époque, juste se montrer comme homosexuel devant la caméra était déjà un gros enjeu.

    En termes de financement, le AIDS Committee of Toronto nous a soutenu. Ils devaient déployer 20 000 dollars en aide à un projet audiovisuel ou retourner l’argent au gouvernement. Un des directeurs de l’organisation, Kevin Orr, me connaissait et m’a appelé. Puis, grâce à un programme de l’Office national du film, j’ai pu avoir entre 20 000 et 30 000 dollars en matériel.

    Je me rappelle aussi qu’on avait eu une entente avec PFK. Ils se sont engagés à nous fournir des repas pour l’équipe, mais ils nous ont dit : « Nous sommes heureux de vous offrir à manger, mais ne mentionnez à personne qu’on vous l’a donné. » Plusieurs années plus tard, j’aimerais désormais remercier PFK!

    Qui sont ou ont été tes inspirations?
    Il y a les grands documentaristes que l’on a connu au Canada, comme Donald Brittain ou Claude Jutras, même si on ne peut plus vraiment parler de lui. Ceux qui vont dans le cinéma vérité. Je pense aussi évidemment aux frères Maysles… J’aime comment le documentaire est ancré dans le réel, tout en manipulant la réalité, c’est toujours une sorte de propagande, mais souvent pour une bonne raison, pour la société.

    Britannique de naissance, tu vis à Vancouver et tu as vécu une bonne partie de ta vie à Toronto, en plus d’avoir visité Montréal à de nombreuses reprises. Vois-tu une différence entre les villes en termes d’approche LGBTQ+?
    Je ne pense pas que je m’y connais pas suffisamment pour pouvoir répondre. J’ai déménagé à Toronto au début de ma vingtaine. Je voulais aller à Montréal, la place la plus excitante au monde, avec tous ses films, sa culture, et la musique, en français et en anglais. Mais après, en 1976, l’élection des Péquistes nous a signalé : « Si vous êtes anglophone, ne venez pas ». On a compris le message et on est allé à Toronto.

    Je n’aime pas Toronto. Je n’ai jamais aimé Toronto. Ce n’est pas une ville humaine. C’est vraiment une ville américaine. Mais si tu veux une carrière dans les médias [audiovisuels], tu dois aller à Toronto. Et aussi, il faut le dire, la gay life était assez sophistiquée à Toronto dans les années 1980.

    Je suis arrivé plus tard à Vancouver. Mais je recommanderai à tout le monde de venir. Il fait bien et chaud ici. Ça a une beauté naturelle.

    Quels sont tes nouveaux projets?
    J’ai co-écrit et produit un film qui s’appelle Who Farted?, maintenant disponible sur CBC Gem. C’est un film sur les changements climatiques. En fait, c’est un film pour les gens qui n’ont pas envie de regarder un film sur les changements climatiques.

    Ça fait quelques années que ce sujet me passionne. Nous vivons dans une période très très terrifiante. Et ça fait comme pour la crise du SIDA. Tu te sens comme dans le mythe de Cassandra [qui prédisait l’avenir mais que personne ne croyait, ndlr]. Tu dis aux gens que c’est dangereux, ça va arriver, comme j’ai fait à Toronto dans les années 1980.

    Mais les gens ne veulent plus en entendre parler. Les gens ne veulent pas regarder des films sur les changements climatiques. C’est devenu un genre [de film]. Mais là on parle de l’avenir de l’espèce humaine.

    Je me creuse les méninges afin de trouver une manière de régler cette situation (to deal with that) mais je n’ai pas encore trouvé.

    Penses-tu que le documentaire est un genre pris plus ou moins au sérieux qu’auparavant?
    Je pense que les gens qui font des documentaires sont pris au sérieux, même si, malheureusement, il y a un genre d’empressement et d’engouement vers ce qui est plus commercial, comme les rock stars. J’aime le documentaire sur Wham!, mais ce n’est pas vraiment des documentaires. Ils sont tous manipulés, n’est-ce pas?

    Il est beaucoup plus difficile de lever des fonds pour des sujets sérieux. Et, malheureusement, ils tombent tous dans le même carcan, ils font tous grossièrement le même genre de contenu à conscience sociale légèrement de gauche, et ils le jouent à leur propre audience. Je pense que c’est important de pousser afin d’avoir une plus large audience.

    Que conseillerais-tu aux gens qui s’apprêtent à écouter tes films.
    Je pense qu’un documentaire, comme avec pas mal n’importe quoi, il faut tout simplement donner une chance. Et sois tu vas arrêter d’écouter, sois ça va te captiver. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui aiment, regardent et font des documentaires. Ils sont généralement intelligents. Et c’est pour ce genre de personnes que je veux faire des documentaires. Mais c’est aussi important d’être divertissant. Certains documentaires sont ennuyants…

    INFOS : https://mubi.com/en/ca/films/no-sad-songs

    Du même auteur

    SUR LE MÊME SUJET

    LEAVE A REPLY

    Please enter your comment!
    Please enter your name here

    Publicité

    Actualités

    Les plus consultés cette semaine

    Publicité