Jusqu’au 10 mars, le Musée d’art contemporain (MAC) accueille la première Nord-Américaine de l’exposition acclamée Velvet Terrorism: Pussy Riot’s Russia [Terrorisme de velours : la Russie des Pussy Riot]. Il s’agit de la première rétrospective muséale du collectif artistique féministe Pussy Riot. Regroupant les dix dernières années d’activisme du collectif et assemblée par Maria (alias Masha) Alyokhina, l’exposition est présentée au MAC à Place Ville-Marie.

Fondé à Moscou en 2011, Pussy Riot est un collectif qui produit des performances, de la musique et des vidéos provocatrices et politiquement engagées. Le collectif est devenu un symbole et une icône de l’opposition au président russe Vladimir Poutine, et son État de plus en plus autoritaire. Cette exposition offre un témoignage riche de leurs actions non violentes et les réactions des autorités. En effet, les Pussy Riot ont transformé l’appareil répressif d’un État autoritaire en un «partenaire créatif», s’engageant dans une danse avec le diable. On peut facilement déclarer que le collectif artistique féministe a une « relation non consensuelle avec l’État ».
Terrorisme de velours : la Russie des Pussy Riot (Velvet Terrorism: Pussy Riot’s Russia) a été initialement présentée à Reykjavik. Crée par Maria (alias Masha) Alyokhina et mise en exposition par les co-commissaires Ragnar Kjartansson, Ingibjörg Sigurjónsdóttir et Dorothee Maria Kirch, l’exposition est présentée à Montréal et organisée au MAC par John Zeppetelli, directeur général et conservateur en chef. Selon lui, « Pussy Riot, par ses actions, confronte audacieusement le fascisme et, grâce à sa résistance ouverte, pacifique et teintée d’humour à l’injustice, éveille en nous une inspiration. »

En visitant l’exposition, on entre dans une pièce où on est accueilli par un homme assis à une table pliante remplie de brochures et de copies de Riot Days, les mémoires de prison de Maria Aliokhina de 2017. Une vidéo montre une femme vêtue d’une robe noire ample, des cheveux blonds s’enroulant en désordre sous une cagoule rouge. Debout au-dessus d’un portrait du président Vladimir Poutine, elle soulève délicatement sa robe et urine sur lui. Disons que le ton est donné.

On peut dire qu’avant que cette première exposition du travail des Pussy Riot prenne vie dans des musées, Maria (alias Masha) Aliokhina a traversé beaucoup de choses pour y arriver. Lorsque, le 24 février 2022, le président Vladimir Poutine a annoncé le début d’une « opération militaire spéciale » en Ukraine, Maria a suivi l’annonce depuis un centre de détention de la banlieue de Moscou. Un an plus tard, elle et d’autres membres du groupe punk féministe et du groupe activiste ont créé une œuvre visuelle de leurs actions politiques, une critique globale de la Russie de Poutine.
Les Pussy Riot sont en théorie un groupe punk, mais leurs œuvres les plus connues sont des actes de protestation politique et des performances artistiques. Elles se sont fait connaître pour la première fois en 2012, lorsqu’elles ont interprété Punk Prayer, une manifestation sonore frénétique de 60 secondes sur l’autel de la cathédrale du Christ Sauveur à Moscou, dans laquelle Maria et ses compagnes ont exhorté la Vierge Marie à devenir féministe. D’ailleurs, le titre de l’exposition, Terrorisme de velours, vient de la description de la manifestation par le patriarche Cyrille de Moscou.
Visage de la résistance
À la suite de cette manifestation, plusieurs membres du groupe, dont Masha, ont purgé une peine dans les colonies pénitentiaires sibériennes, après être reconnues coupables d’hooliganisme et de « haine religieuse ». Parmi les nombreuses images et vidéos de leurs diverses actions politiques, une se démarque. Deux femmes, Nadya Tolokonnikova et Maria (alias Masha) Aliokhina, sont vêtues de sarafans bleus et blancs, un costume traditionnel russe, accessoirisés de bas résille et de bottes noires. La scène ressemble à des représentations idylliques de danses traditionnelles, sauf que les banderoles sont remplacées par du ruban adhésif de police en plastique jaune et que les deux femmes attachent un policier masqué, Nadya regardant la caméra. On comprend que la surveillance policière est une réalité quotidienne pour Masha et ses amies. Et depuis 2021, elle a été arrêtée par les autorités pour diverses accusations forgées de toutes pièces et assignée à résidence par intermittence. La décision de fuir n’est intervenue que lorsque les autorités ont annoncé qu’elle purgerait le reste de sa peine dans une colonie pénitentiaire. Ayant déjà purgé une peine en Sibérie, elle n’avait aucune envie d’y retourner.

Un motif courant dans le vocabulaire visuel des Pussy Riot est le moment de l’arrestation. Ce moment, qui marque fréquemment la conclusion de nombre de leurs actions, peut être considéré comme une partie intégrante de la performance, l’ovation debout d’une protestation virtuose. Dans l’une de ces images, tirée d’une démonstration des Jeux olympiques de Sotchi de 2014, des cosaques vêtus d’oushankas doublées de fourrure fouettent Masha et ses compagnons avec de lourds fouets. Il y a un curieux détachement, comme si aucune des deux parties ne souhaitait particulièrement être là. L’action se déroule de manière passive : on fouette, alors que Masha et ses amies restent là, stoïquement dissociées des coups, tandis que les Cosaques, à moitié ennuyés, attendent la fin de leur journée de travail. Dans d’autres images, le visage de Masha est illuminé d’un calme saint. En regardant la caméra, des gardes armés l’emmènent. La passivité calme dans ces images démontre l’absurdité de la force et de l’énergie déployées par ces hommes en tenue des forces spéciales.

Et la défiance des Pussy Riot s’étend bien au-delà du moment de l’arrestation. Pendant son séjour dans la colonie pénitentiaire, où elle a été soumise à un total de cinq mois d’isolement cellulaire, Masha est restée en contact avec les observateurs des droits humains. En apprenant ses droits et en luttant contre la faim, elle a même lancé avec succès une campagne visant à réformer les conditions de vie de l’intérieur de la colonie pénitentiaire. Ce n’était pas facile et les gardes ne comprenaient pourquoi elle ne se facilitait pas la vie. Pourquoi elle devait toujours prendre le chemin le plus difficile. Mais pour Masha la résistance est un choix et une obligation. Comme elle le disait elle-même dans une récente entrevue, «je savais que si je me soumettais en prison, même après avoir retrouvé ma liberté, je ne serais pas libre»
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