Le poids dans tous ses états

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Le diktat des canons de beauté et des normes de santé corporelle est à l’image des corsets du 19e siècle : inconfortables, absurdes, mais séduisant au regard. Depuis quelques années, cette tyrannie à l’endroit du corps est cependant remise en question au point qu’en 1994, le terme « grossophobie » fut créé afin de le décrire, entraînant un lot de publications éclairantes dont les deux titres suivants.

Au-delà de la grossophobie : redéfinir son bien-être et habiter son corps
D’entrée de jeu, Julia Lévy-Ndejuru et Marilou Morin-Laferrière circonscrivent l’omniprésence tentaculaire de l’oppression corporelle : culture des régimes, médicalisation du poids, comportements stigmatisants envers le surpoids, standards de beauté aberrants et impacts traumatiques de tous ces éléments. Elles proposent ensuite une reconnexion avec notre corps à l’aide d’approches permettant l’établissement d’une distance plus saine envers les codes en place, permettant ainsi de redécouvrir le simple plaisir de manger.

Bien qu’il soit difficile de cerner des éléments qui relèvent souvent de l’intangible (les émotions ressenties au regard de son corps ou de la nourriture), elles suggèrent diverses stratégies permettant l’identification de comportements problématiques.

Au-delà d’une démarche individuelle et d’une déclinaison d’outils permettant de mieux habiter son corps, l’ouvrage appelle également à une remise en question plus systémique porteuse de changements sociaux pérennes.

INFOS | Au-delà de la grossophobie : redéfinir son bien-être et habiter son corps / Julia Lévy-Ndejuru & Marilou Morin-Laferrière. Montréal : Éditions La Presse, 2023, 317 p.


Mangeuses : histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès
Lauren Malka présente une chronique, passée et présente, de la relation d’amour-haine des femmes avec la nourriture, notamment au regard de l’écart démesuré entre le repas réel et celui qui est fantasmé.

Paradoxe d’autant plus grand qu’elles sont au cœur d’une culture du goûter, notamment à travers les obligations de la « bonne ménagère » (alors même que les hommes occupent le terreau de la gastronomie, longtemps interdite aux femmes). Comme elle le souligne, « dans la mythologie, la littérature, le cinéma, les hommes mangent, dévorent, gloutonnent. Ils musclent leur fraternité autour de grandes bouffes, de banquets. Les femmes ? Elles ne mangent pas. Aucun roman ni aucun film célèbre ne les réunissent autour de tablées. La sororité s’émiette à chaque siècle en conseils et astuces pour briller aux fourneaux, rester “appétissantes” et, surtout… ne pas manger ». L’homme qui aime faire bonne chère est ainsi qualifié de bon mangeur, alors que sa contrepartie féminine est associée à la gourmandise.

En 1858, dans Les malheurs de Sophie, la comtesse de Ségur illustre bien cette dichotomie avec son personnage éponyme qui doit réprimer sa gourmandise afin de devenir une « petite fille modèle ». Cette association s’amorce dès les premiers récits mythologiques, avec une Ève incapable de résister au fruit défendu, jusqu’à nos jours où règne une association entre corps féminins ultraminces, nourriture et sexualité. La seconde partie s’attarde sur le rapport à la boustifaille et à la notion du surpoids, qui diffère entre les sexes, et sur les régimes, imposés depuis la Rome antique, visant à amincir le buste et élargir les hanches.

L’ouvrage se conclut par un chapitre sur les désordres alimentaires, ainsi que l’émergence progressive de corps dits alternatifs. Une lecture fascinante et éclairante sur la construction du manger féminin !

INFOS | Mangeuses : histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès / Lauren Malka. Paris : Les Pérégrines, 2023, 286 p. (Genre !)

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