Mercredi, 4 décembre 2024
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    Les hommes gais devraient-ils mieux performer le masculin ?

    Je pensais qu’on avait fait le ménage dans la tête des gars attirés par les gars, en jetant toute la poussière accumulée dans les coins des idées arriérées. Mais non. Je me suis retrouvé un soir de décembre avec un mec qui a monologué pendant quarante-trop-de-minutes sur le fait que l’expression de genre des homos ne correspondait pas assez aux codes traditionnels de la masculinité.

    Je sais que les clichés de la virilité continuent de polluer nos esprits. Je vois sur les applications de rencontres une quantité foisonnante d’hommes queers qui écrivent « masc for masc », sans réaliser que cette expression est aussi inappropriée que « No Blacks, no Asians, No Arabs, no Fat, no Fem » : un concentré de racisme, de grossophobie, d’homophobie et de sexisme. Évidemment que ces hommes ont le droit de préférer des profils qui correspondent à une image vieillotte de la masculinité. Évidemment qu’ils ont le droit d’entrer en contact avec ceux qui attirent leur regard et d’ignorer les autres. Mais ont-ils vraiment besoin de mettre en mots leur rejet en annonçant ce qui les désintéresse, au lieu de simplement faire leurs choix ?

    Maintenant, revenons à ce soir de décembre. Le mec et moi nous rencontrons au café La graine brûlée, sur une banquette tapissée de dessins et d’inscriptions, comme la très éloquente « Fuck gender rules » au-dessus de mon épaule gauche. Même si on se trouve au temple de la queerness, il se lance dans un long discours sur la masculinité qui va bien plus loin que la mention « masc for masc ». Il se dit passionné des questions de genres et de biologie. Il me casse les oreilles avec les attributs physiques dont héritent les humains mâles, en insistant sur la nécessité de parler de femelles et de mâles, pour faire une distinction avec les genres masculin et féminin. Il affirme que les homosexuels devraient être attirés par les « mâles » dont l’expression de genre est masculine. Il précise que les gais qui s’identifient hommes, mais qui incluent plusieurs codes traditionnellement féminins dans leur expression de genre, sont rendus trop nombreux. Et qu’il n’arrive plus à trouver d’homos correspondant au moule de la masculinité traditionnelle.

    À cet instant précis, je m’étouffe avec ma gorgée de thé vert en me demandant dans quel monde il vit pour l’amour du crisse ! Comment fait-il pour ne pas voir tous les homosexuels qui s’identifient aux sous-cultures (le mot « sous » n’est pas employé ici pour diminuer qui que ce soit) des bears-ours, des jocks-athlètes, des fétichistes du cuir et des nombreuses catégories d’humains qui expriment leur genre avec une grande aisance dans le giron de la masculinité traditionnelle ? Par-dessus tout, comment peut-il ne pas voir à quel point plusieurs gais SE FORCENT à correspondre aux vieux stéréotypes : les cheveux courts, la barbe, les muscles, la démarche, l’allure vestimentaire, les goûts culturels et les activités, et ce, au détriment de leur véritable nature et de leur santé mentale ?
    En sachant que les gais efféminés et les gais qui s’approprient des codes traditionnellement féminins sont encore si souvent pointés du doigt, calomniés et ostracisés par les hétéros, est-ce possible, s’il vous plaît, de se donner du lousse entre nous ? Bien évidemment, t’as le droit d’avoir tes préférences. T’as le droit de coucher avec qui tu veux. T’as le droit de refuser de faire l’introspection qui te permettrait d’identifier pourquoi tu préfères ce que tu préfères. Mais pendant que tu exerces tes droits en m’expliquant que tu souhaiterais voir plus d’homos performer la masculinité, que les gais sont — selon ta théorie — attirés par les codes de genre masculins traditionnels et qu’ils devraient se forcer le masculin (tes mots, pas les miens) quand vient le temps de draguer, tu ne réalises pas à quel point tu as droit à… ma pitié.

    Je suis assis devant toi, avec mes cheveux trop longs pour être typiquement masculins et mes ongles colorés comme je le fais une fois aux trois mois, j’écoute ce que tu me dis avec une patience inhabituelle, et je visualise plein d’hommes queers pavaner leur masculinité d’un autre temps comme les paons qui sortent leurs plumes pour impressionner la galerie. Je te laisse monologuer en me demandant comment ça se fait que tu n’as pas encore appris que ce qu’il y a de plus séduisant chez un homme, ce n’est pas son plumage ni sa masculinité (trad ou pas trad), mais son authenticité. Je te regarde aller en me demandant quand tu vas comprendre à quel point cette envie de voir les gais performer le masculin, si ce n’est pas naturel pour eux, c’est comme leur demander de se détester assez pour ne pas être eux-mêmes.

    Et ça, mon cher, c’est de l’homophobie intériorisée. Et si tu répliques que tu n’as pas honte d’aimer les hommes, mais que tu voudrais juste un peu plus de gais qui correspondent aux clichés masculins, je te répondrai que c’est de l’homophobie intériorisée quand même, parce que ça fait des décennies que les homos se font écraser pour cette même raison.

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