Avec Má Sài Gòn (Mère Saigon), le cinéaste québécois de descendance vietnamienne, Khoa Lê, interroge les modèles sociaux par le biais de personnes LGBTQ+ (en particulier les personnes transgenres, mais pas exclusivement), qui ne correspondent pas nécessairement aux standards les plus largement acceptés dans la société, Et, il le fait en donnant toute la place aux vies qu’ils et elles se sont créées. Son film, ancré dans leur réalité, est un très beau poème visuel, un réel objet artistique, qui cherche à provoquer une onde de réflexion qui dépasse le contexte vietnamien.
«Je cherchais à faire entendre des voix issues des communautés LGBTQ+ : des humains dont on parle beaucoup, mais que l’on écoute trop peu», dit-il d’emblée lors de notre rencontre. Après avoir exploré ses racines vietnamiennes dans BÀ NÔI (un portrait sur sa grand-mère, où se mêlait humour et émotion), le jeune cinéaste retourne dans le pays d’origine de ses parents pour plonger au cœur de la communauté LGBTQ+ locale et explorer les liens affectifs qui la soudent.
« Quand je suis retourné au Vietnam, l’idée n’était pas au départ de faire un second documentaire. J’allais y faire de la recherche en vue d’un long métrage de fiction. » Mais au contact de celles et ceux qu’il a rencontré — et qui sont devenus ses ami.e.s — l’idée d’un autre film sur leurs réalités a germé. Il a donc remis à plus tard son film de fiction pour réaliser ce documentaire, dont le tournage a commencé deux mois avant que la pandémie se déclare, en 2020. Après une longue pause, le tournage a pu enfin être complété en 2022. S’en est suivi plusieurs mois de montage, avant une tournée des festivals en 2023.
Má Sài Gòn (Mère Saigon) parle d’amour, de camaraderie, de communauté, de bouffe et de vêtements, mais aussi beaucoup de famille : biologique, choisie ou d’appartenance. Au visionnement, on sent vite que la famille est au cœur de la société et de la culture vietnamienne. « Les mœurs changent, la société vietnamienne est beaucoup plus ouverte qu’elle ne l’a déjà été, tout en étant très attachée aux traditions familiales », confie Khoa Lê. « La famille, la filiation sont des enjeux très présents dans la culture vietnamienne, en particulier la place des parents, la procréation et le désir de conserver la structure de la famille, avec un papa, une maman, des enfants. Le film aborde cette thématique-là dans la mesure où les jeunes se sentent le besoin de reconstruire une structure sans toutefois réussir à s’y intégrer parfaitement dans une famille reconstituée, parfois en reprenant les rôles traditionnels. »
Même les questions plus problématiques, en ce qui a trait notamment au jugement des parents, sont abordées avec un sens de l’ironie sans être lourdes, finissant même parfois par se résorber dans des moments intergénérationnels très tendres — comme dans la scène des photos de famille (avec la courge) qui est hilarante.
Sans voyeurisme, on entre dans l’intimité de chacun.e. On sent vraiment qu’on est assis sur un banc de parc avec eux, dans la cuisine, sur le lit ou sur le balcon en train d’assister à un échange, à une discussion intime, à des moments précieux, uniques. Clairement, le réalisateur a réussi à créer un climat de confiance pour susciter ce niveau rare d’ouverture de témoignage et d’échanges.
« Je ne voulais pas montrer la réalité de ces personnes de manière exotique ou flamboyante, ce qui a déjà souvent été montrée, entre autres pour les personnes transgenres asiatiques. J’avais le gout de m’attarder à leur banalité, tel qu’iels sont au jour le jour. Et de les montrer comme des humains qui ont des rêves et des ambitions. La proximité qu’on a réussie a créée était très naturelle, pas forcée. La responsabilité, qui en a découlée, est énorme, étant donné qu’iels me faisaient confiance, presque aveuglement. Oui, ils et elles sont extraordinaires et parfois flamboyant.e.s, mais à travers leur vie et pas qu’à travers l’image qu’on a d’eux et d’elles…»
Le film n’a rien de didactique et on n’a pas l’impression de visionner un reportage. La force du film réside moins dans son côté revendicatif, que dans l’observation décontractée du quotidien. Il y a quelque chose de ludique dans Má Sài Gòn (Mère Saigon) et qui lui permet de respirer, en se libérant notamment de l’image de gravité ou de flamboyance avec lequel on aborde sans doute trop souvent la question de la transidentité.
Mettant toujours l’humain au cœur de sa démarche, Khoa Lê livre une mosaïque de portraits intimes pour explorer la quête universelle d’amour d’une communauté, remplie, de désir, d’acceptation, de connexion et d’appartenance. Son film, Mère Saigon, prend l’affiche le
2 février, courrez le voir en salles.
INFOS | MÁ SÀI GÒN [MÈRE SAIGON] de Khoa Lê, 2023, 98 minutes.
À l’affiche dès le 2 février.
https://f3m.ca/film/ma-sai-gon-mere-saigon
Cinéma Moderne — Montréal, Québec
Sortie en salle
mercredi 21 février 2024
BILLETTERIE
Cinéma Public — Montréal
Sortie en salle
dimanche 25 février 2024
BILLETTERIE
Cinéma Beaumont — Québec
Projection
vendredi 01 mars 2024
BILLETTERIE