Fugues célèbrera cette année ses noces d’émeraude puisque la publication du magazine a débuté en avril 1984 même si l’équipe rédactionnelle était en place depuis déjà quelques mois. Afin de faire honneur à cette grande aventure journalistique, chacune des parutions de 2024 se penchera sur un événement, capital ou cocasse, qui a marqué l’actualité du mois correspondant.
La thématique de février ne surprendra personne. Après tout, quel autre sujet que la Saint-Valentin peut bien avoir systématiquement marqué les pages? Et cette impression est à la fois bien fondée et doit, en même temps, être nuancée puisque même si les relations amoureuses tiennent le haut du pavé, on constate de grandes variations quant à son traitement.
Les toutes premières années de Fugues soulignent Cupidon par l’entremise de deux pivots : la revendication politique, via des articles de fonds, et la fête, via des pages publicitaires. En effet, bien que le couple gai ne soit pas légalement reconnu, plusieurs bars le célèbrent via des soirées thématiques. Dans les années 80, c’est notamment le cas, du Benjamin, du Lilith, de la Boîte en haut, du Gant de velours, du Garage, du Max et de la Taverne du Plateau.
Des événements de plus grande envergure sont également organisés comme le Tête-à-tête des Valentins qui prend place en 1983 puis, dix ans plus tard, c’est au tour de l’événement Red organisé par Bad Boy Club Montréal.
Février devient rapidement un moment névralgique pour faire le point sur l’état du droit au regard des couples de même sexe. Les premières années n’évoquent cependant pas ou peu le thème du mariage, qui semble sans doute hors de portée, mais bien plutôt une obtention des droits corolaires. Un constat se fait cependant éventuellement à l’effet que seul le mariage permet une réelle parité avec la contrepartie hétérosexuelle.
Au fil des saisons, les sujets suivants se déclinent donc : les avantages sociaux (Droits des gais et reconnaissance du conjoint de fait, février 1996; La cause contre la Régie des rentes, février 1999), les conjoints issus de l’immigration, les conseils juridiques, la situation internationale (Les mariages hawaïens seront-ils reconnus au Canada?, février 1997; Deux couples homo-sexuels se marient à Toronto, février 2001), les revendications en cours (La reconnaissance de nos relations d’amour: la situation d’aujourd’hui, février 1998; Coalition québécoise pour la reconnaissance des conjoints de même sexe: L’union civile ne peut être qu’une étape, février 2002) ou l’organisation politique (Événement bénéfice pour la cause du mariage gai : mercredi 6 février au Cabaret Sky, février 2002).
Bien que la question juridique occupe toujours le devant de la scène, une exploration des aspects psychologiques demeure présente via des conseils et des témoignages. On insiste cependant toujours, même si c’est par l’ajout de guillemets autour du mot « union », sur la précarité et l’injustice présente (Des « unions » pour un maximum de plaisir … : 4 couples de gars dévoilent le secret de leur recette, février 1999). En parallèle, à partir des années 2000, s’amorce une remise en question des paramètres traditionnels hérités du couple hétérocentrique (Le couple gai: Un couple réinventé, février 2000; Le couple remis en question: Quand l’amour se conjugue au pluriel, février 2001).
Le ton change radicalement après la reconnaissance du mariage gai au Québec, en mars 2004, puis au Canada, en juillet 2005. Février se conjugue rapidement à travers un dossier thématique sur l’amour et le mariage où l’accent porte dorénavant sur la célébration de l’événement, les fournisseurs, le voyage de noces, les questions fiscales, des témoignages de nouveaux mariés, l’homoparentalité et, dès 2013, l’inévitable question de la séparation. Au milieu des années 2010 émerge un intérêt plus marqué pour les événements précédant le mariage : la déclaration amoureuse, la demande en mariage, les fiançailles, le choix des alliances, etc.
La remise en question du format hétérocentré du couple se poursuit de plus belle et dès 2021, le concept du trouple n’est plus présenté comme un phénomène atypique, mais comme une nouvelle réalité. Cette même année voit également l’apparition d’un sujet que personne n’aurait pu anticiper, celui des amours en temps de pandémie : un sujet qui sera abordé jusqu’en 2023.
Pour terminer sur une touche d’humour, dans les années 70, la revue Flirt & potins présente deux sujets jugés d’« intérêt public » : La question de la semaine: « Je sens que je vais céder à l’homosexualité par désir de jouissance » (17 janvier 1971) et Une lesbienne peut-elle guérir de son vice? (21 février 1970). Plus surprenant cependant est un article du 21 février 1971 qui démontre bien l’importance avec lequel le droit au mariage s’inscrivait déjà dans les aspirations de la communauté LGBTQ : Deux femmes aux femmes se sont épousées dernièrement au cœur de la métropole. Dans la même veine, on peut citer le numéro du 23 octobre 1954 d’Ici Montréal dont la page frontispice annonce en grande pompe : J’ai assisté à des fiançailles d’homosexuels: ces dépravés se jurent fidélité dans des orgies sans pareilles.
Qu’il soit politique, social, juridique, psychologique ou même simplement mercantile, au fil des ans, février illustre bien l’enjeu fondamental que constitue la revendication de la reconnaissance du droit d’aimer et d’être aimé.