Quand l’écrivain Jean-Paul Daoust et l’infirmier Mario Savoie se sont rencontrés, ils ne vivaient pas dans la même région. Ils évoluaient dans deux univers complètement différents. Et leurs proches leur rappelaient avec amusement qu’ils ont 14 ans de différence. Pourtant, rien de cela ne les a empêchés de traverser le temps et de faire de 2024 l’année de célébration de leurs quatre décennies de couple.
Quand a eu lieu votre toute première rencontre ?
Jean-Paul : On s’est rencontrés un samedi soir autour de minuit dans un bar qui s’appelait l’Underground et qui est aujourd’hui le Unity.
Mario : On va se chicaner sur l’heure, parce que moi je dis que c’était après minuit. Bref, c’était dans la nuit du 29 au 30 septembre 1984. Alors, on est dans notre quarantième année.
Jean-Paul : Je l’ai approché en lui demandant : « Danses-tu, toi, câlice ? » Pourtant, je n’étais pas censé être là. Je n’aimais pas sortir le samedi soir. Je trouvais que c’était une invasion des banlieues. Mais des amis étaient venus chez moi et ils étaient tellement avancés dans l’alcool que j’ai proposé de sortir pour nous changer les idées.
Pourquoi ça a cliqué ?
Mario : Il y a sûrement le physique. Jean-Paul avait les cheveux longs bouclés à cette époque, et j’ai toujours aimé beaucoup ça. Quand il m’a approché, j’ai dit oui tout de suite.

Jean-Paul : Ensuite, je l’ai invité à mon appartement et on a passé tout le week-end ensemble. Lundi, il est venu me reconduire au métro, car j’allais enseigner au Cégep Édouard-Montpetit. Je lui ai donné rendez-vous le vendredi suivant au Saint-Sulpice. De fil en aiguille, on a continué. Une chimie s’est installée. Mario vivait chez sa mère près de Joliette et il travaillait à l’hôpital. Il y a eu plusieurs va-et-vient, avant qu’il décide de venir travailler à Saint-Luc pour vivre à Montréal et qu’on soit ensemble plus souvent. Je lui ai présenté mes amis, toute ma clique de poètes qui l’ont très bien accepté. Le temps a passé et on ne s’est pas lâchés.
Mario : Tout est dans la chimie. Je ne baignais pas du tout dans la littérature et même chose pour lui avec la santé. Quand je rentrais du boulot, on ne parlait jamais du travail à la maison.
Mario, pourquoi es-tu tombé en amour avec Jean-Paul ?
Mario : Il est authentique et c’est un éternel adolescent. Même s’il est plus vieux que moi, on est souvent sur la même longueur d’onde. On a beaucoup de choses en commun. C’est un gars de party, et dans ma famille, les fêtes étaient toujours organisées chez nous. Il m’a fait découvrir beaucoup de choses. J’ai rencontré plein de monde du milieu artistique que je n’aurais jamais pensé rencontrer. On est allés chez Marie-Claire Blais à Key West.
Jean-Paul : On a fait plusieurs fêtes avec Gaston Miron, Nicole Brossard, Lucien Francoeur et toute une gang !

Et toi, Jean-Paul ?
Jean-Paul : Mario est rassurant et très groundé. C’est une grande qualité. Il est patient, ce que moi je ne suis absolument pas. Quand les nerfs me pognent, il a une façon bien à lui de me calmer. Il peut me dire : « T’as monté l’Empire State Building, maintenant redescends. » Il y a un respect entre nous deux.
Mario, c’est comment d’avoir un poète comme amoureux ?
Mario : Ça m’a probablement évité de faire plusieurs dépressions, ce qui est fréquent chez les professionnels du domaine hospitalier. Quand j’arrivais dans son milieu, je me coupais de ma job et je changeais complètement de monde. Ça a été très bénéfique. Sinon, je n’ai pas reçu de lettres d’amour enflammées. Mais avant, il me laissait plein de petits mots sous l’oreiller. C’était très attentionné.
Jean-Paul : Je ne me souviens pas de ça.
Mario : Tu iras voir dans mon tiroir, il y en a encore plein.
Jean-Paul, est-ce que je me trompe en disant que la force tranquille de Mario vient t’équilibrer ?
Jean-Paul : C’est exactement ça. Je ne me serais certainement pas entendu avec un autre flamboyant. Je n’ai jamais eu de dates avec des gens de la littérature. Je trouvais que c’était un petit milieu et c’aurait sûrement été plus tordu que sympathique. Mario venait d’un autre monde. C’est ça qui m’intéressait. Ça ne me tentait pas d’être dans le même aquarium que les autres poètes. Je n’avais aucune attirance physique non plus pour eux.

Mario, pourquoi t’impliques-tu autant dans les activités artistiques de Jean-Paul ?
Mario : C’est normal pour moi. Quand Jean-Paul reçoit des demandes d’informations ou quand il veut remplir des demandes de bourses, il rédige son texte et je vais m’occuper de la poutine.
Jean-Paul : Mario est très bon dans la paperasse, ce que je déteste pour tuer ! Il s’occupe aussi de mes impôts. Je sais qu’il est bon là-dedans. Il est méticuleux.
Mario : J’aime l’accompagner à ses activités et à ses spectacles. Je sais qu’il prépare des textes pour une lecture et qu’il change parfois trois minutes avant, en tenant compte de l’ambiance de la salle. J’ai toujours sa série de textes avec moi, en papier ou sur mon téléphone.
Jean-Paul : C’est un peu mon secrétaire particulier.
Mario : J’aime ça ! Je vois le produit final et à quel point les gens l’apprécient.
Jean-Paul, quelle place occupes-tu dans son univers ?
Jean-Paul : Très peu, à part que j’ai écrit un poème, une ode pour les infirmières, qui a été publié dans leur revue lue par 75 000 personnes. Je connais évidemment sa belle gang. Il y a eu de belles fêtes à Sainte-Mélanie que j’ai préparées avec lui. Je trouve ça important dans un couple qu’on ait chacun notre territoire. À quoi ça sert de vivre avec son sosie ?