Il suffit de cinq minutes à discuter avec Khate Lessard et Fabrice Gagnon-McKenzie pour sentir une immense dose d’amour, de respect et de tendresse. Trois ingrédients qui leur ont permis de se rapprocher malgré les kilomètres de distance qui semblaient éloigner cette femme trans allochtone et cet homme cisgenre d’origine crie. On vous avertit : leur duo est irrésistible.
Racontez-nous votre première rencontre.
Khate : On s’est connu.e.s en 2019 sur une application de rencontres, juste avant que je participe à Occupation Double. On est allé.e.s prendre une bière dans un pub et la serveuse était une fille qui m’avait beaucoup écœurée au secondaire. J’avais raconté ça à Fabrice et il m’avait dit en riant qu’on allait la faire payer : il a donné un coup de coude sur son bock de bière qui est tombé par terre. La serveuse a dû venir ramasser et il m’a fait un petit clin d’œil. Ce n’est pas gentil, mais ça a fait effet.
Pourquoi ça a cliqué ?
Khate : On n’était pas sérieux au début. Fabrice venait de se séparer. Il avait un enfant. Moi, j’allais faire OD et je ne voulais pas m’embarquer. Quand je suis revenue d’OD, la maman du petit avait déménagé dans la région de Laval et Fabrice avait fait la même chose pour suivre son garçon. Moi, je voulais m’installer à Montréal. Je n’avais pas d’appartement. On s’était revu.e.s trois ou quatre fois entre-temps. Il m’a dit que je pouvais rester chez lui le temps de trouver quelque chose. Finalement, je ne suis jamais partie.
Fabrice, qu’est-ce qui t’a fait tomber en amour ?
Fabrice : Khate a un énorme cœur. Elle est tellement gentille et elle veut le bien de tout le monde, des fois un peu trop. J’ai mon garçon une semaine sur deux, alors ça me prenait quelqu’un qui était prêt à accepter cette situation-là. Quand j’ai vu que mon garçon, Charli, l’adorait, et qu’elle avait beaucoup d’attentions pour lui, ça m’a touché. Aussi, il faut dire qu’elle est quand même cute.
Et toi, Khate ?
Khate : Fabrice est un clown qui est très terre à terre. Il dédramatise facilement les situations. Moi, je vis sur un nuage et je suis un peu anxieuse. Il va me ramener sur Terre au quotidien. Aussi, il est très affectueux et il montre aux gens qu’il les aime. On se rejoint beaucoup puisqu’on vient tous les deux des régions. Nos mentalités se ressemblent, même si on est des personnes très différentes.
Fabrice : On se tire tous les deux vers le haut.
Khate : On est des meilleures versions de nous-mêmes depuis qu’on est ensemble.
Votre relation a commencé pendant la transition de Khate. Comment c’était de vivre ça ensemble ?
Khate : Quand j’ai connu Fabrice, à l’été 2019, j’avais encore mon pénis. Je me suis fait opérer pour ma vaginoplastie à la fin novembre de la même année. Après mon opération, on a vécu défi par-dessus défi. On a testé notre couple avant même d’en profiter pleinement. À cause de l’opération, on n’a pas eu de sexe pendant au moins neuf mois.
Fabrice : Ensuite, on a traversé la pandémie. Mon garçon vivait sa phase du terrible two.
Il est handicapé. Et on suspectait qu’il était peut-être aussi autiste.
Khate : On s’est remis en question mille fois. Puis, on a vu qu’on gérait les situations difficiles très différemment. On a essayé de se faire réaliser comment on fonctionnait. Moi, je monte vite dans les rideaux, je ne sais plus quoi faire et je panique. J’évitais beaucoup les choses. Je ne voulais pas parler. Il m’a fait faire des prises de conscience.
Fabrice, c’était comment pour toi ?
Fabrice – C’était un bon défi, mais j’étais content d’être là, parce que je n’aurais pas vu Khate traverser ça toute seule. Elle avait tellement besoin de soins et c’était une grosse épreuve intense. C’était épuisant parfois.
Khate : J’avais mal constamment et je n’avais pas de patience.
Fabrice : Je l’ai connue quand j’avais 29 ans, donc ma période de jeune fou qui court dans les bars, qui veut boire et sortir, c’était passé. Je crois que ça nous a aidé.e.s beaucoup. Des fois, Khate me suggérait d’aller voir ailleurs, parce qu’on n’avait pas de sexe. C’était impensable à mes yeux. Elle avait besoin de moi. Quand même, c’était difficile. On a failli se séparer plusieurs fois au début, mais jamais à cause de sa transition ou parce qu’elle est trans.

Être en couple avec une femme trans, ça générait quoi dans ta tête ?
Fabrice : Je comprenais son choix de transitionner. Ça la rendait heureuse. J’ai parlé avec sa famille et ses ami.e.s, qui m’ont raconté les épreuves qu’elle avait traversées et où elle était rendue aujourd’hui. Je trouvais qu’elle était une belle personne que j’appréciais énormément. Être avec une femme trans, ça ne voulait rien dire sur ma masculinité ou mon orientation. Je recevais plein de messages de haters qui disaient que j’étais un gros gai dégueulasse, que je couchais avec un gars et qu’on avait des problèmes mentaux. Pour moi, c’est vivre et laisser vivre. Khate est une fille. Et je suis un gars straight. Je ne me suis pas questionné plus qu’il faut.
Les couples entre personnes trans et cisgenres ne sont pas nombreux. Avez-vous des conseils à leur donner ?
Khate : Tout le monde vit ça différemment. J’ai rencontré plusieurs personnes trans qui voulaient se faire approcher de telle manière et que les gens évitent certains mots. Moi, je crois qu’on ne peut pas contrôler ce que les autres pensent et disent. Quand tu approches quelqu’un en sachant que tu vas possiblement sortir quelque chose de maladroit, sans que ce soit l’effet voulu, dis-le en partant. La communication, c’est ce qu’il y a de mieux. Si tu es bien intentionné.e et que tu veux en apprendre, je ne vois pas pourquoi ce serait grave de le sortir un peu croche.
Fabrice : Pour les couples trans-cisgenre à long terme, il ne faut pas avoir de tabous, être gêné.e.s ou être susceptible. Il faut savoir rire de nous et toujours ressentir de la fierté pour la personne avec qui on a décidé de partager notre vie.
Fabrice, tu es d’origine crie. Y avait-il des choses à apprivoiser puisque vous êtes issu.e.s de deux cultures ?
Fabrice : Oui, Khate a sorti des expressions et des stéréotypes qui me faisaient réagir. J’ai clarifié certaines choses avec elle. Parfois, on voit un mauvais individu et on généralise à toute la communauté. On a vécu quelques accrochages, mais je prenais le temps de lui
expliquer.
Khate : Au secondaire, à Amos, près de la communauté autochtone de Pikogan, la dynamique était particulière avec les élèves autochtones. On ne savait pas comment les aborder et quoi dire. Je voyais que plusieurs vivaient un mal-être à l’école. Ils se regroupaient entre eux. Certain.e.s étaient violent.e.s. Je ne comprenais pas pourquoi. Fabrice m’a appris beaucoup de choses sur les Autochtones. Ça m’a fait du bien.
Khate, comment vis-tu ton rôle de belle-mère ?
Khate : Ce fut des montagnes russes pour arriver à comprendre la place que je voulais avoir. Au début, c’était difficile, car je voulais toujours être avec mon chum, mais il avait son enfant une semaine sur deux, alors que je n’avais pas de lien avec Charli. Il fallait apprivoiser ça. Moi, j’ai toujours chialé sur les enfants et je chiale encore sur les autres, mais pas sur lui.
Fabrice : Depuis 18 mois, elle a pris sa place. Elle est une belle-maman gâteau. Elle fait une batch de muffins pour le petit. Elle lui achète des vêtements. Et quand c’est le temps d’être autoritaire parce qu’il fait des niaiseries, Charli la respecte.
En terminant, parlez-nous de vos fiançailles.
Khate : Après avoir choisi une bague, j’ai amené Fabrice sur le Mont-Royal, avec le coucher de soleil et la chanson qui jouait dans l’auto durant notre première ride. J’ai fait ma demande et il a accepté. Je trouvais ça cool de le faire moi-même.
Fabrice : Il n’y aura pas de mariage traditionnel. Côté religion, je ne suis vraiment pas là. Je suis très athée. On visualise plus une célébration, avec sa robe de mariage quand même.
Khate : Présentement, ce n’est pas notre priorité. Fabrice travaille à l’extérieur. Il a son enfant quand il est ici. Alors, on essaie de trouver du temps pour se prévoir des sorties et des voyages.