La question surgit inéluctablement dans l’esprit de tout homme qui émerge de son placard identitaire : pourquoi suis-je gai ? Évidemment, le degré d’intérêt ou d’urgence pour une telle réponse varie d’une personne à l’autre, mais la question n’en demeure pas moins présente. C’est à la découverte de toute la petite histoire derrière les théories et études sur le sujet que nous convie le journaliste Mathias Chaillot.
Le titre désigne une constante que l’on retrouve un peu partout à travers le monde, soit le pourcentage d’hommes qui se définissent comme exclusivement homosexuels tout au long de leur vie : entre 4 à 8 %. Le « en théorie » met de son côté l’accent sur le fait que cette évaluation ne tient pas compte de la bisexualité, des hommes qui n’ont eu que quelques expériences ou de ceux qui n’osent pas franchir le Rubicon.
L’ouvrage alterne entre une présentation des différentes théories qui ont parsemé l’histoire — psychologie, endocrinologie, génétique (notamment, les études sur les jumeaux), biologique, avantage évolutif — et des anecdotes, souvent personnelles, qui permettent d’ancrer les enjeux hors d’un contexte scientifique.
Plusieurs théories ne surprendront personne, notamment les plus anciennes, autour du « traumatisme » castrateur originel, et les plus récentes, articulées autour des recherches en génétique. On pourrait donc craindre un sentiment de redite, mais il n’en est rien puisque l’information est toujours bien vulgarisée et avec un grand souci de retracer le contexte historique de son émergence.
On découvre notamment que plusieurs des scientifiques qui ont entrepris ces recherches étaient eux-mêmes gais et cherchaient à désamorcer une culture homophobe en établissant le côté naturel et inné des orientations sexuelles. D’autres, évidemment, avaient des intentions moins nobles et cherchaient à identifier la source du « problème » afin de le corriger (castration, électrochoc, lobotomie, etc.).
L’auteur fait également ressortir les contradictions inhérentes à de nombreuses (et souvent archaïques) théories. À titre d’exemple, le cliché de la trop grande ou insuffisante présence du père (ou de la mère) : la conclusion logique et absurde étant donc l’extrême fragilité de l’hétérosexualité. Dans la même veine, on retrouve la théorie du « premier bain » d’hormones lors de la grossesse et celle de l’« effet grand frère », selon laquelle plus le nombre de frères aînés est important, plus augmente le pourcentage de chance que le cadet soit gai.
Comme ironise l’auteur, le paradoxe est que tant de questions soient posées sur l’origine de l’homosexualité, alors que la véritable question devrait peut-être s’orienter vers celle de l’hétérosexualité. C’est avec justesse qu’il cite Frank Kameny, astronome et militant gai qui, dès 1965, remet déjà en question la pertinence même de cette question :
« Je n’ai jamais entendu un seul cas d’hétérosexuel, quel que soit le problème auquel il pouvait être confronté, s’enquérant de la nature et des origines de l’hétérosexualité, ou demandant pourquoi il était hétérosexuel, ou considérant ces questions comme importantes. Je ne vois pas pourquoi nous devrions faire une enquête similaire en ce qui concerne l’homosexualité ou considérer les réponses à ces questions comme étant d’une quelconque importance pour nous. »
Mathias Chaillot présente un état des lieux, solidement documenté, qui se révèle à la fois instructif et divertissant, soulevant des questions fondamentales tout en n’hésitant pas à en relativiser l’importance.
INFOS | 4 % en théorie… / Mathias Chaillot. Paris : Éditions Gouttes d’Or, 2023, 286 p.