Ils et elles témoignent. De leur vie sous le régime soviétique, du passage brutal à une nouvelle ère qui en décevra beaucoup. La liberté à tout prix, mais quelle liberté ? Catherine De Léan a choisi d’adapter en partie La fin de l’homme rouge, roman de l’écrivaine biélorusse Svetlana Alexievitch, qui a transformé en récits des entrevues qu’elle a menées avec des citoyens et des citoyennes de l’ex-Union soviétique. Quatre de ces témoignages sont portés sur la scène du Théâtre de Quat’Sous. Une plongée dans l’intimité de celles et ceux qui ont vécu la sortie du communisme pour entrer de plain-pied dans le capitalisme. Le changement vécu comme une libération apporte aussi son lot de déconvenues, de laissé.e.s pour compte et parfois de nostalgie quand tous les repères s’effondrent.
La metteure en scène Catherine De Léan, comme beaucoup, connaît l’histoire de la fin de l’empire soviétique, mais elle a été touchée par le texte de Svetlana Alexievitch qui fait revivre de l’intérieur les bouleversements auxquels a été confrontée la population russe, entre espoir et désenchantement. « J’ai été surprise de voir combien l’être humain arrive à s’adapter, même dans l’inacceptable, même jusqu’à se satisfaire de situations inhumaines, commente Catherine De Léan en entrevue, et je me suis intéressée en fait à la psyché des personnages, d’essayer de comprendre comment on pouvait être et se satisfaire d’être un agent du pouvoir et de commettre des actes inhumains. »
Au-delà de la grande histoire, celle qui nous est racontée, il y a des milliers d’histoires individuelles construites sur des espoirs, voire des idéaux et la confrontation avec une réalité qui s’avère totalement différente et avec laquelle il faut composer. « En fait, continue Catherine De Léan, on est pris entre la réalité et la fiction, fiction de ce que l’on a bien voulu croire, fiction aussi du discours idéologique qui masque la réalité. »
C’est ce qu’ose aborder l’écrivaine Svetlana Alexievitch. « Elle aborde à travers ces témoignages toutes les grandes questions qui nous hantent, aussi bien l’amour, que la notion de liberté, de l’opposition de la liberté individuelle, qui est celle de nos sociétés, à celle du bien commun soi-disant défendu par le régime soviétique, avance la metteure en scène. Et cela nous touche puisque les personnages passent, [sur le plan des] croyances et de[s] valeurs, d’une extrémité à l’autre, [d’]une société totalitaire à une société fondée sur la consommation et le bonheur individuel. Par exemple, une femme âgée se retrouve seule, loin de ses proches, et regrette l’époque révolue où il existait une solidarité de fait avant la chute du communisme, elle se sent abandonnée. »
Pour ces Russes ordinaires, le changement de paradigme politique et économique n’a pas été un gage de plus grande liberté ni d’un bonheur en devenir. En fait, ils et elles semblent perdu.e.s et tentent, comme avant l’effondrement, de s’adapter et de survivre, étrangers et étrangères à tous les discours auxquels ils ont pu croire, mais qui aujourd’hui ne les touchent plus.
La fin de l’Union soviétique est la victoire du capitalisme sur le socialisme pour certain.e.s. Mais qu’en est-il pour celles et ceux qui, quel que soit le régime, en sont plus les jouets que les protagoniste ? La fin de l’homme rouge est en ce sens un miroir emblématique, mais peut-être pas aussi déformant que cela, de ce que les moins nantis d’entre nous vivons aujourd’hui dans des sociétés dites libres.
INFOS | La fin de l’homme rouge
Théâtre de Quat’Sous / Du 27 février au 23 mars 2024
Texte : Svetlana Alexievitch / Traduction : Sophie Benech
Mise en scène : Catherine De Léan
Production : Théâtre de Quat’Sous
https://www.quatsous.com