Jeudi, 5 décembre 2024
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    Katherine Levac, le café vanille glacé des humoristes queers

    On dirait que Katherine Levac a le droit de parler de tout. Pendant son troisième spectacle, L’homme de ma vie, l’humoriste fait rire les foules en abordant de front l’homoparentalité, le Botox, la masturbation, le suicide chez les agriculteurs, ses seins de maman et son couple lesbien. Comme si le public lui donnait carte blanche pour être magnifiquement effrontée.

    En première partie de ton nouveau spectacle, le 1er mars dernier, l’humoriste Anne-Sarah Charbonneau disait que tu es le café vanille glacée des humoristes queers, c’est-à-dire qu’à l’image du vanille glacé qui est bu par les gens qui n’aiment pas beaucoup le café, tu arrives à rejoindre beaucoup de personnes qui connectent moins avec la queerness. Que penses-tu de ça ?
    Katherine Levac : Ça me fait rire ! Elle dit que je suis un lubrifiant social qui amène le monde un pas à la fois vers nos réalités queers : je suis lesbienne, mais je reste dans les codes féminins habituels, j’ai une famille et une maison. Est-ce que je me sens comme ça ? Je ne sais pas. Mais je reçois tellement de messages, surtout depuis que j’ai des enfants, de parents qui viennent d’apprendre que leur enfant est queer et qui pensaient devoir faire le deuil de devenir grands-parents, mais qui réalisent en me voyant que ça se peut.

    Fais-tu des choix conscients en ce sens ?
    Katherine Levac : Je suis juste moi-même, mais j’assume très consciemment mon type de féminité. Pendant un temps, je me disais que si je m’identifiais lesbienne, je devrais peut-être m’habiller autrement. Ça semble superficiel, mais ce sont des questions que beaucoup de femmes dans ma situation se posent. Finalement, je trouve ça important d’assumer mes goûts, comme d’aimer porter une robe rose à paillettes, sans me retenir. Il faut continuer de montrer que la queerness a plusieurs visages.

    J’ai l’impression que tu abordes plusieurs sujets avec une effronterie qui pourraient bousculer des personnes qui sont en contact avec une portion plus homogène de la société, mais que ton amour des régions et ta connaissance fine de la vie agricole leur rappellent que tu es une des leurs. À quel point cette idée a-t-elle du sens ?
    Katherine Levac : Si je ne venais pas de la région et que je ne représentais pas quelque chose de familier, aurais-je plus de difficulté à passer certains sujets ? Je ne sais pas. Autant j’incarne des choses qu’ils voient moins, autant mes valeurs de famille, de loyauté et de travail sont des valeurs de ferme. Je les applique à l’humour : je travaille sans compter les heures, je vis de ma passion, je fais mes choses en solo et quand ça va mal, je suis dans marde.

    Il y a tellement de choses que j’ai apprises de la ferme et qui me sont restées, pour le meilleur et pour le pire. Mon plus grand défi dans la vie, c’est de travailler moins, de prendre le temps de m’arrêter et d’exister hors du travail, chose que je n’ai pas vu mes parents et mes grands-parents faire. Donc, sur papier, j’aborde peut-être des choses moins propres à ce que les gens vivent, mais en pratique, c’est similaire. Je parle beaucoup de la famille, un sujet qui les rejoint beaucoup.

    En quoi le contexte d’écriture de ton nouveau spectacle était-il différent des autres ?
    Katherine Levac : Écrire un show, pour moi, c’est le jouer. J’ai essayé d’écrire durant les heures de garderie et de faire mes petites blagues entre 10 et 3, mais ce n’est pas ça, la job. Ça se passe le soir, au Bordel, avec des 15 minutes ici et là. Puis, à un moment donné, on rentre dans les grandes salles. Avec deux jeunes enfants, je suis habitée par l’énergie de l’urgence. Je suis plus productive. La situation m’oblige à établir ses priorités. Je ne vais pas tourner dans des places random ni accepter de jouer dans des fictions pour me concentrer sur ma tournée. Au fond, je peux seulement accepter de me faire hit par la vague de la vie.

    Comment te frappe-t-elle ?
    Katherine Levac : Par exemple, j’avais pris congé de shows en novembre et décembre dernier, parce que Chloé devait tourner un film. Est-ce que je trouvais ça complètement cinglé quelques mois avant ma première ? Oui, mais comme Chloé tournait, on ne pouvait pas tout faire en même temps. Finalement, en raison d’un truc de financement, le tournage a été reporté à en ce moment, une période où j’ai rassemblé tous mes shows. C’est un cauchemar. Mais il faut accepter qu’on ne contrôle rien et que c’est ça la vie.

    Photographe : Alexis Goncalves

    Est-ce que ton regard sur la vie et ton humour ont changé en devenant parent ?
    Katherine Levac : Je ne sais pas si c’est les enfants ou simplement vieillir. Parfois, je pense que si je n’avais pas d’enfants, je ne vieillirais pas super bien. Je ne dis pas que les gens qui n’ont pas d’enfants vieillissent mal. Mais, pour moi, j’ai un doute. Parfois, j’ai besoin de wake-up calls comme une pandémie ou avoir des jumeaux pour avancer. Certaines personnes ont l’intelligence et le recul pour le faire sans traumas. Moi, ça me prend des murs à frapper.

    Tu parles de la relève en agriculture et du fait que tu aurais été meilleure que tes frères pour reprendre la ferme. Il y a 15 ans, si on avait considéré les filles comme une relève potentielle, aurais-tu pu prendre ce chemin ?
    Katherine Levac : Oui, 100 %. Ce qui me rend heureuse dans mon travail d’humoriste, c’est d’être toujours à l’affût des trucs que tu ne contrôles pas et du besoin de se réinventer, ce que les agriculteurs doivent constamment faire. Les valeurs qui m’animent comme artiste, je pourrais les appliquer sur une ferme. Aujourd’hui, je suis rendue trop loin dans mes affaires en humour, mais j’aurais pu être agricultrice.

    Comment ta famille a-t-elle réagi au fait que tu n’es pas hétéro ?
    Katherine Levac : Très bien. Il faut dire que j’ai un oncle homosexuel qui a le même chum depuis 25 ans. C’était présent dans ma famille et toujours accepté. Quand je pense à ça, j’ai beaucoup de sympathie pour ma grand-mère, qui se fait questionner sur le travail de mes frères, qui sont réalisateurs de musique, et sur nos choix de vie. Elle se fait dire au village, sur le perron de l’église : « Ouin, c’est quoi Katherine ? Le Elle Québec ? Karelle, c’est qui ? » Elle ne m’en parle jamais, mais je suis certaine qu’elle nous défend et qu’elle nous valide aux yeux des gens. Je sais que c’est difficile pour une dame de son âge de se faire dire que ce n’est pas normal.

    Tu es en couple avec la réalisatrice et scénariste Chloé Robichaud. Trouves-tu ça stimulant d’être en couple avec une artiste ?
    Katherine Levac : On romantise beaucoup cette idée. Ayant été en couple avec des humoristes, je ne recommande pas que ce soit aussi proche. Par contre, j’aime ça quelqu’un qui évolue en création, qui comprend l’urgence de performer et nos périodes de création quand on devient un peu zombie. Je le recommande.

    J’ai essayé d’être avec des gens qui n’évoluent pas dans la création et, parfois, il manquait un tout petit fil de connexion. Cela dit, deux artistes ensemble, c’est aussi beaucoup de niaisage et de chialage sur nos obligations respectives : qui a le plus le droit de travailler aujourd’hui ? Les paris sont lancés. Le débat des chefs commence ! Évidemment, aller au Tricheur de l’Halloween, ça n’a pas d’ostie de bon sens, mais c’est pour faire la promotion de telle affaire. Toi, un Zoom ? Vraiment, Chloé ? Un Zoom ! Pour moi, ce n’est jamais important un Zoom…

    Comme vous avez toutes les deux un grand bagage créatif, est-ce que vous vous faites lire vos projets ?
    Katherine Levac : On a nos moments où c’est le temps de faire lire à l’autre. J’adore avoir son cerveau à ma portée, car elle a une vision du monde très différente de la mienne. Elle pose des questions auxquelles je n’ai pas pensé. Quand elle a vu mon numéro sur le Botox, elle m’a challengée sur le fait que je suis relaxe par rapport à ça, parce que je suis privilégiée et que ma face va bien dans les faits, mais que je devrais peut-être ajouter une ligne là-dessus. Cela dit, pour Chloé, tout est blanc ou noir : lui, il est méchant, lui il est fin. Elle a un côté tranché avec lequel je l’aide peut-être un peu. On évolue ensemble.

    INFOS | Pour voir son nouveau spectacle : https://katherinelevac.com

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