Vendredi, 4 octobre 2024
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    Votre perception du Fugues a-t-elle changé depuis 40 ans ?

    Officiellement le plus vieux média LGBTQ+ francophone du monde, Fugues célèbre en 2024 ses 40 ans ! Comme toute personne qui évolue en délaissant certaines habitudes, en gagnant des proches et en perdant celleux qui préfèrent rester figé.e.s dans le passé, le magazine s’est transformé. À l’aube de sa cinquième décennie, Fugues n’est plus ce qu’il était à ses débuts, ni même il y a 20 ans. Et c’est tant mieux !

    Dessiner les différents visages qu’a eus le seul magazine queer au Québec est un exercice impossible pour moi. Je n’étais pas né quand Fugues est venu au monde et j’y ai publié mon premier article en 2013. Je peux donc simplement témoigner de ce que j’ai vécu, vu et entendu depuis le début de ma vie montréalaise, il y a 18 ans. À mon arrivée dans la métropole, j’étais sorti du placard depuis moins de trois ans et j’étais encore puceau. Laissez-moi vous dire que, même si j’assumais mon homosexualité, l’idée de lire un magazine avec des gars en bobettes sul’cover n’était pas quelque chose que je faisais sans embarras. Je récupérais un exemplaire, je le cachais dans mon sac et je le lisais une fois seul dans mon appartement. Si ma gêne a disparu avec le temps, la perception du Fugues, elle, semble encore difficile à modifier chez bien des gens.

    Pendant des décennies, les pages couvertures ont mis de l’avant une majorité de gars musclés et peu habillés. Même si les choses ont changé, les covers du Fugues demeurent dans l’imaginaire de plusieurs personnes un repère d’homos blancs cisgenres en bobettes qui correspondent à des standards de beauté malsains. Comme si les couvertures ne célébraient jamais les trans, les lesbiennes, les bis et les queers de cultures diverses. Pourtant, les dernières années ont mis en lumière plusieurs drags (Gisèle, Rita Baga, Mona, Michel Dorion, Icesis Couture, Kiara), plusieurs personnes issues de la diversité culturelle (Christopher DiRaddo, Devery Jacobs, Yunus Chkirate, Jade Above, Sandy Duperval, Rodrigo Araneda), des personnes trans (JJ Levine, Gabrielle Boulianne-Tremblay, Sasha Baga). Depuis cinq ans et près de 60 pages couvertures, on en compte une dizaine correspondant aux adonis. On est loin de l’ancienne majorité !

    Évidemment, le magazine ne se résume pas à ses couvertures. Son contenu a lui aussi évolué. S’il a longtemps concentré son attention sur la vie dans les bars, les partys et le sexe, en plus de donner une place évidente aux enjeux militants et politiques, Fugues donne désormais beaucoup d’espace aux projets culturels de nos artistes, à l’immobilier, au design, à l’entrepreneuriat, à la bouffe, aux sports et à des questions sociales de plus en plus nuancées.

    Chaque fois que je retrouve l’éditeur Yves Lafontaine et les collègues qui portent le magazine à bout de bras depuis des décennies, j’apprends des morceaux d’histoire sur nos communautés. À l’origine, Fugues était pensé pour les hommes gais exclusivement. Quelques années plus tard, il a inclus les lesbiennes, même si les lecteurs étaient davantage visés que les lectrices. Depuis plus d’une décennie, c’est à toutes les communautés LGBTQ+ que le magazine s’adresse à différents degrés. Avec les années, la direction s’est ouverte à l’écriture inclusive en usant de synonymes non genrés connus de la population, en insérant quelques « iel » et « celleux », et en publiant des articles dont les adjectifs sont accordés sans faire emporter le masculin.

    En août 2021, Fugues a franchi un pas de plus en souhaitant une bonne fierté à « toustes », un choix applaudi par les adeptes de vocabulaire qui n’exclut personne, mais critiqué par plusieurs autres qui trouvent qu’on va trop loin. Même si je fais partie des personnes qui ont apprécié cette décision, je comprends l’inconfort qu’elle a provoqué. Le changement ébranle nos repères. La langue française et la société sont en constante transformation, alors il est naturel que les éléments nouveaux qui les constituent puissent nous déboussoler. Avant de voir le Fugues ce mois-là, je n’avais jamais utilisé le terme « toustes ». J’ai été surpris, mais pas choqué. Je ne l’ai pas inclus à mes habitudes lexicales, mais j’accepte qu’on l’utilise.

    Sur ce coup-là, l’équipe éditoriale du Fugues était en avance sur moi. Ce constat ne génère pas de colère dans mon cœur. J’aime être entouré de gens qui font évoluer ma pensée. Je considère que d’être sensible à la représentation fait de moi un meilleur humain. Les avancées qui se font avant que j’y aie réfléchi me rappellent d’ailleurs le gouvernement libéral qui a légalisé les unions entre conjoint.e.s de même sexe, alors que la population n’appuyait pas encore majoritairement l’idée. Parfois, un gouvernement prend des décisions qui seront acceptées dans les années suivantes, comme ce fut le cas avec le mariage gai.

    Parfois, un magazine dirigé par des personnes qui réfléchissent 365 jours par année aux enjeux queers fait aussi des choix qui déstabilisent et qui finissent par susciter l’adhésion.

    Fugues n’est pas parfait. Il ne prétend pas l’être. Mais il essaie de rester en avant de la parade, de provoquer des réflexions et d’entraîner des changements. Longue vie au magazine !

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