En avril 1997, un article de Fugues retient l’attention : « Ellen va enfin sortir du placard ». Depuis déjà plusieurs mois, des rumeurs couraient à ce sujet et c’est donc maintenant confirmé. Un événement hors du commun va se produire sous peu et réunira 42 millions de spectateurs et spectatrices devant le petit écran : le personnage principal d’une série télévisée va pour la toute première fois de l’histoire sortir du placard !
Le concept peut sembler presque banal de nos jours alors que, bon an mal an et malgré des enjeux toujours présents, de nombreuses personnalités effectuent ce geste libérateur. Dans les années 90, la situation est cependant tout autre et sortir du placard constituait presque une fin de carrière certifiée. C’est pourtant cette décision que prendra Ellen DeGeneres dans le cadre de la saison 4 de sa série éponyme.
Il faut dire que, depuis ses tout débuts, la série brinquebalait au regard de son identité : les scénaristes se désespéraient de trouver un point de vue original et de cristalliser la nature de son personnage principal. Plusieurs en étaient même arrivés à blaguer en évoquant à quel point il serait plus simple qu’Ellen, le personnage et l’actrice, effectue un double coming out. Il y aurait enfin de véritables histoires à raconter !
Le réseau ABC se refusait cependant fermement à envisager l’ombre du début de l’imitation d’un tel concept, au grand dam de l’actrice pour qui jouer le jeu de l’hétéro de service, dans sa vie personnelle et télévisuelle, s’avérait un fardeau de plus en plus lourd à porter. C’est alors que les rumeurs se multiplient et que, devant la frénésie médiatique qui s’ensuit (qui culminera avec la page frontispice du magazine Time), ABC se résout à l’impensable.
Avant même le tournage du fatidique épisode, le réseau se voit cependant inondé de lettres de protestation, d’une alerte à la bombe et de déclarations publiques incendiaires s’opposant à cette « perversion de la morale publique ». Du côté des communautés LGBTQ, l’excitation est tout au contraire à son comble. En Alabama, devant l’annonce que le réseau local ne diffuserait pas l’épisode, des groupes organisent même des visionnements publics en louant de grands auditoriums et une liaison satellite.
Finalement, le 30 avril 1997, l’événement tant attendu se tient sous la forme d’un épisode double : The Puppy Episode. Celui-ci réunit également Laura Dern, dans le rôle du béguin d’Ellen, Oprah Winfrey, dans celui d’une psychologue, et une apparition surprise de Melissa Etheridge. Le succès est total avec un audimat de 42 millions de personnes, mais génère cependant de grandes pertes de revenus pour ABC puisque plusieurs commanditaires se sont retirés : J. C. Penney, Chrysler et Wendy’s.
Devant le succès rencontré, la série poursuit cette trame narrative et Ellen explore dorénavant ouvertement son identité lesbienne dans le cadre d’une cinquième et ultime saison. La série n’est cependant pas au bout de ses peines puisque le 8 octobre 1997, le réseau fait précéder un épisode, où elle embrasse très chastement une autre femme, d’un avertissement : « Ce programme comporte un contenu pour adultes. La discrétion parentale est conseillée. » Le réseau cesse également d’en faire la promotion, ne sachant comment gérer ce qu’elle considère être un ovni télévisuel.
Ce sera ensuite une traversée du désert de trois ans pour l’actrice qui ne retrouvera finalement le regard du public qu’à la suite de son interprétation du poisson Nemo dans le film éponyme de Pixar, puis dans l’animation du Ellen DeGeneres Show. L’événement marquera profondément les esprits et pavera la voie pour Will & Grace qui, dès 1998, rencontre un succès sans précédent. La victoire n’est cependant pas gagnée au regard d’une plus grande visibilité dans les médias. En avril 2001, Fugues consacre d’ailleurs un dossier complet sur les risques, pour un artiste, de dévoiler son orientation sexuelle, sur la couverture souvent bancale des thèmes LGBT au petit écran et de leur représentation dans les téléromans.
Pour de plus amples détails, consultez l’excellente vidéo de Matt Baume : « A Warning Label on My Life » : The Story of Ellen’s Coming Out
En avril, on remarque également les événements suivants. En 2000, Daniel Pinard s’insurge, avec raison, devant l’homophobie omniprésente dans les émissions d’humour (Piment fort, par exemple). En 1994, Fugues change complètement son format et sa charte graphique et amorce son sondage annuel sur la sexualité des gais et leurs modes de vie.
En 1962,Ici Montréal nous révèle la mentalité de l’époque à travers un titre particulièrement haineux : « La vieille tapette Lemieux, de Québec, encore en prison : Josaphat Lemieux, vieille tapette de Québec, incriminé une huitième fois, s’en va au pénitencier pour deux ans. » Le 19 avril 1969, Flirt & Potins nous prévient que « La campagne est le nouveau terrain de chasse des lesbiennes aguerries » et, le 18 avril 1970, le même journal jaune annonce un très intrigant photo-roman policier : Le repentir d’un homosexuel. Finalement, en 1895, le magazine Le Passe-temps présente une brève couverture du procès d’Oscar Wilde.