Dans le cadre du 40e de Fugues, le rédacteur en chef du magazine propose sur le site web quelques films LGBTQ+ qui ont marqué à leur façon le 7e art. Voici quelques films de 1994…
PRIEST
d’Antonia Bird (1994)
Dans ce premier long-métrage primé aux festivals de Créteil, d’Edimbourg et de Toronto, Antonia Bird relance les questions du célibat des prêtres et du secret de la confession! À travers les tourments d’un jeune prêtre qui découvre son homosexualitè et qui enrage de ne pouvoir intervenir dans une affaire d’inceste, le film dénonce les positions de l’Eglise! En même temps, il brosse avec pudeur et sincérité un portrait sans concession de la misère dans la société anglaise! Brillante prestation de Linus Roache en jeune et dynamique père Greg avec dans les seconds rôles Tom Wilkinson et Robert Carlyle, les futurs streaptiseurs de «Full Monty»! Une oeuvre sur la compassion et la tolérance…
THE ADVENTURES OF PRISCILLA, QUEEN OF THE DESERT
de Stephan Elliott (1994)
Prenant pour prétexte le voyage de deux drag-queens flanqués de leur amie transsexuelle pour rejoindre l’épouse de l’un deux à l’autre bout de l’Australie, le film est un road-movie qui s’amuse à perdre ses personnages dans le «bush» australien pour mieux les amener à se révéler tels qu’ils sont vraiment. Ainsi, nos héros/héroïnes croiseront sur leur chemin le rejet, l’amusement, l’amitié et même l’amour sans jamais tomber dans le pathos ou la critique facile. Bernadette, Mitzi et Felicia ne sont pas du genre à se laisser aller à pleurnicher sur leur condition, elles ont appris à encaisser et à se relever avec humour et panache de chaque chutes. Le film parvient à rendre attachant dès les premières minutes ces personnes pas comme les autres et qui, malgré les vacheries qu’elles se lancent à la figure à longueur de temps, font toujours preuve de solidarité et d’un grand amour les unes pour les autres. La partie dans le bush australien permet de mettre en valeur ce magnifique paysage presque fantastique et offre des scènes improbables mais très belles à l’image du bœuf improvisé entre nos drag-queens et des aborigènes réunis autour d’un feu de camp. L’interprétation est dominé par un Terence Stamp visiblement content d’aller à contre sens de son image de sex-symbol du Swinging London et qui compose une Bernadette délicieusement cynique et pince sans-rire, adepte de la phrase qui tue. À ses côtés, les débutants Hugo Weaving et Guy Pearce démontrent qu’ils étaient déjà d’excellents acteurs, pour preuve : on oublie complètement leurs rôles postérieurs qui ont fait leur réputation. Avec son exubérance et sur surdose de musique disco, le pari était loin d’être gagné, de même qu’avec son sujet qui aurait facilement pu laisser place à un film larmoyant. Le cinéaste parvient à éviter tous les pièges qui jalonnent son chemin et livre une comédie pleine de charme, d’amour et d’humour, qu’on a envie de revoir, de temps en temps, histoire de prendre une bouffée d’air revigorante.
FRAISES ET CHOCOLAT
de Juan Carlos Tabio et Tomas Gutiérrez Alea (1994)
Véritable classique à Cuba, cette bulle de fraîcheur, hymne à la vie et à la tolérance, fait partie de ce petit nombre de films qui rendent heureux. On sent le cinéaste amoureux de ses personnages : il ose un travelling sur le corps de David, matérialisation du regard langoureux de Diego, mais il traite en finesse tout aussi bien Nancy, la suicidaire ratée, boule d’énergie et bigrement attachante. Mais c’est avec le portrait torturé de Diego qu’il se surpasse, lui accordant une épaisseur et un charme infiniment nuancé. Personnage complexe et abouti, il rejoint sans doute le cinéaste et ses « illusions perdues », qu’il exprime dans des tirades soignées et touchantes. Le scénario est remarquablement construit dans sa progression sereine (voir la reprise de la séquence de la glace inversée), les dialogues souvent piquants (l’ironie subtile de Diego, les phrases stéréotypées tournées en dérision) et les interprètes remarquables. Film à la fois léger et profond, drôle et émouvant, Fraise et chocolat fait partie de ces œuvres qui, comme par miracle, nous touchent et nous élèvent, en distillant un message humain et jamais pesant.
SWOON
de Tom Kalin (1994)
Premier lot métrage du trop rare Tom Kalin, SWOON retrace en noir et blanc, l’histoire vraie (rendue célèbre par le film THE ROPE d’Hitchcok) de deux homosexuels qui tuent par défi, par désœuvrement, mais aussi parce que la société ne leur offre pas d’autre exutoire. Le film en noir et blanc, solidement interprété, raconte l’histoire de Nathan Leopold Jr et de Richard Loeb, deux intellectuels juifs devenus célèbres en 1924 pour avoir kidnappé et tué un garçon : Bobby Francks. Ces jeunes hommes pourtant brillants, âgés de 18 ans, se construisent une relation basée sur la jouissance à travers leurs activités criminelles. Une criminalité liée, aux yeux du public, à leur homosexualité. Après le meurtre, ils sont vite arrêtés en raison des nombreux indices qu’ils ont semés et de leurs alibis confus. Le procès prend une dimension internationale et devient prétexte aux renforcements des stéréotypes visant à condamner les dangers de l’homosexualité, du judaïsme et de l’intellectualisme.
LES ROSAUX SAUVAGES
d’André Téchiné, 1994
Début des années 1960, dans le sud-ouest de la France. François est un garçon brillant, promis à un bel avenir. Il se découvre de jour en jour et commence à questionner sa sexualité. Il peut néanmoins compter sur le soutien et l’oreille attentive de sa meilleure amie, Maïté. Pour le duo inséparable, c’est une année importante, mais leur vie va être bouleversée lorsque leur chemin croisera celui de deux jeunes hommes. Avec talent, André Téchiné renferme les spectateurs dans une bulle, à l’image de ce village qui semble coupé du reste du monde, et s’immisce, le temps d’un été seulement, dans le quotidien des quatre adolescents. Le film trouve sa singularité dans sa finesse et son atmosphère estivale, semblable à celle que l’on retrouvera, des années plus tard, dans un film comme Call Me by Your Name. La puissance des Roseaux sauvages réside principalement dans le traitement de ses héros, tous admirablement construits, à l’instar de François, joué par Gaël Morel. Jeune homosexuel de province, il peine à trouver ses repères pour s’affirmer, avant de faire la rencontre d’un vieux marchand de chaussures dans une scène très émouvante. Un chef-d’œuvre d’une grande humanité.