Comédie musicale écrite, composée et dirigée exclusivement par des femmes, Waitress fait exception au Québec, alors que Joël Legendre en signe la mise en scène. Malgré sa grande expérience, il a dû convaincre la production américaine de lui faire confiance. Les membres du public pourront voir le fruit de son travail dès le 22 juin à Montréal et dès le 10 août à Québec, alors que Marie-Ève Janvier jouera Jenna, une serveuse coincée dans une petite ville et un mariage sans amour.
Quand as-tu découvert Waitress ?
Joël Legendre : En 2017, je suis allé la voir à New York. En sortant du spectacle, j’ai appelé Patrick Rozon de Juste pour rire pour lui dire que la journée où le spectacle ne serait plus sur Broadway — parce qu’on ne peut pas jouer des shows ailleurs dans le monde tant qu’ils sont sur Broadway et que la tournée mondiale n’est pas terminée — je serais heureux de faire la mise en scène pour Montréal en français.
Pourquoi voulais-tu monter le projet ?
Joël Legendre : Sara Bareilles, qui a écrit la comédie musicale à partir du film du même nom, a créé une œuvre différente de ce qu’on voit habituellement. Pour une rare fois, on retrouve environ huit musiciens, au lieu d’un gros orchestre. Broadway signifie toujours BIG, alors que Waitress, malgré son ampleur, demeure intimiste. En plus, tout a été écrit, composé et dirigé par des femmes. C’était une première sur Broadway en 2015. Tellement que j’ai eu peur de ne pas pouvoir faire la mise en scène du spectacle.
Comment as-tu convaincu la production de te faire confiance ?
Joël Legendre : J’ai prouvé à ces femmes pourquoi je pouvais mettre en scène une comédie musicale qui parle de girl power. Je leur ai dit qu’en étant gai, j’avais adopté un enfant, en étant paternel et maternel, à une autre époque. Et puis, j’ai eu recours à une mère porteuse pour avoir mes jumelles. Je leur disais ça en braillant. Toute l’équipe pleurait avec moi. Elles ont compris à quel point les femmes sont importantes et essentielles à ma vie.
De quelle façon leurs couleurs féminines se voient-elles dans l’œuvre ?
Joël Legendre : Par l’intériorité des personnages et la douceur du spectacle. Le côté masculin du showbizz est souvent de démontrer les choses, alors que le côté féminin est de le ressentir. Quand je fais la mise en scène, je me questionne toujours à savoir si j’en fais trop. La femme a un côté humble qui vient plus facilement qu’à un homme. On doit s’inspirer de cette humilité qui vient de nos mères. La mienne travaillait à la ferme autant que mon père, en plus de faire les repas, mais elle n’attendait jamais un mot pour qu’on la félicite. C’était comme normal. Alors qu’un homme fait un barbecue une fois par été et tout le monde est impressionné !
Irais-tu jusqu’à dire que c’est un spectacle féministe ?
Joël Legendre : Oui et non. On suit l’histoire de trois serveuses qui en arrachent dans la vie de tous les jours. Elles viennent d’un coin perdu des États-Unis, qui ressemble à ce que ma mère a vécu et à ce que d’autres vivent encore. Ce sont des femmes qui se battent pour gagner leur vie, qui ont reçu peu d’éducation et qui ont, pour la plupart, des histoires pas très florissantes avec leur mari. On va voir ce que ça va provoquer que les femmes s’unissent. Le féminisme n’est pas souligné dans le texte, mais il est montré. C’est encore plus fort ainsi.
En mars dernier, Juste pour rire s’est placé sous la protection de la loi de la faillite, ce qui a entraîné l’annulation de plusieurs spectacles, dont le vôtre, avant qu’il ne soit sauvé. Comment as-tu vécu cela ?
Joël Legendre : Je l’ai appris en même temps que tout le monde en lisant La Presse et j’ai tout de suite appelé Marie-Ève Janvier, qui est mon amie. Elle se dirigeait avec sa famille vers la Gaspésie durant la semaine de relâche. Elle était dans la voiture. Je lui ai annoncé. On avait énormément de peine pour l’industrie, Juste pour rire, Waitress et nos jobs.
Je pensais surtout aux interprètes qui perdaient leur été : la comédie musicale étant de plus en plus populaire, certain.e.s avaient fait le choix de ne pas auditionner pour d’autres projets pour être dans Waitress, alors iels se retrouvaient avec rien. C’était un deuil à vivre en famille. On s’écrivait sur les réseaux sociaux. Puis, Juste pour rire a été exceptionnel : presque chaque jour, on avait un compte rendu de leurs démarches. Ça a fait place à de l’espoir. Quand le show a été sauvé officiellement, on a ressenti une explosion de joie !
Pourquoi avez-vous choisi de confier le rôle principal à Marie-Ève Janvier ?
Joël Legendre : Quand Juste pour rire m’a approché pour monter le show, on m’a dit que la direction voyait Marie-Ève dans le rôle. J’étais bien d’accord ! Quand je coanimais Le meilleur pâtissier du Québec avec elle, je lui avais dit, sans nommer la pièce, que si une de mes comédies musicales préférées était montée en français, un jour, je la verrais très bien jouer le rôle principal. Les astres étaient alignés. Elle a donné des centaines de représentations de Notre-Dame de Paris et de Don Juan dans le passé, mais ses rôles de Fleur de Lys et de Maria sont à des années-lumière de Jenna. Autour de moi, j’ai entendu plusieurs personnes surprises de ce choix. Mais quand je l’ai entendue chanter à En direct de l’univers il y a quelques mois, elle m’a jeté sur le cul.
À quel point c’est agréable de travailler avec elle pour l’amener ailleurs ?
Joël Legendre : Marie-Ève est une très grande interprète. Quand elle a enregistré la chanson She used to be mine en français et que la production de New York l’a entendue, tout le monde était ébahi. Elle est extraordinaire. Il y a beaucoup de lien entre elle et la simplicité du personnage. Elle a juste à être naturelle, de ressentir les choses et ça va aller.
INFOS | Waitress, la comédie musicale
À Montréal, du 22 juin au 28 juillet, à l’Espace St-Denis.
À Québec, du 10 au 31 août, à la salle Albert-Rousseau.
https://waitresslacomediemusicale.com
— Article publié le 28 mai 2024