Papas de deux fillettes, David et Nicolas (François Arnaud et Iannicko N’Doua-Légaré) sont l’incarnation de la réussite esthétique, amoureuse, familiale, professionnelle et sociale. Toutefois, le jour où David croira avoir été vu par sa progéniture en train de commettre un geste indigne de l’excellence hétéronormative à laquelle il aspire, il basculera dans la déchéance. Toujours aussi fin dans son analyse des travers du monde, Michel Marc Bouchard convie le public à une séance de dissection de la beauté dans Une fête d’enfants, sa nouvelle pièce publiée chez Leméac en décembre, avant d’être jouée au TNM du 14 janvier au 8 février 2025.
En 2021, dans ta pièce Embrasse, tu explorais la beauté du monde parmi les thématiques abordées. Quatre ans plus tard, la beauté est à nouveau au cœur de ton écriture. Pourquoi est-ce que cela t’inspire autant ?
Michel Marc Bouchard : Je pense que la beauté fait partie de la recherche de la perfection. Dans Embrasse, il y a la recherche de la perfection fabriquée, qui n’est pas innée ; on va la construire, ce qui est souvent le propre de l’art. Quand on parle de beauté, tout ça est relatif, on s’entend. Chacun a ses propres paramètres de ce qu’est la beauté en art. Cela dit, il y a du côté de la beauté physique des beautés incontestables. Peut-être que notre cerveau reptilien fait en sorte d’identifier ça comme la perfection. On dirait une beauté innée et reconnue par les autres, qui fait souvent consensus. Mais c’est parfois un cadeau empoisonné.
Dans Une fête d’enfants, tu évoques la quête de perfection et de beauté sans aspérité de plusieurs homosexuels qui essaient de compenser la tare de leur différence. Comment cela se traduit-il ?
Michel Marc Bouchard : Je parle des homosexuels qui sont condamnés à l’excellence pour cacher la faille. Chez David, tout ça semble acquis. Il est beau, reconnu comme tel, il a un bel amant et il a réussi sa vie sociale, qui est pour moi une vie extrêmement hétéronormative, et non homosexuelle. Autrement dit, il a réussi sa vie parce qu’il s’est un peu effacé dans ses « travers » pour être plus parfait que n’importe quel hétérosexuel. Quand la pièce commence, il a une blessure d’ego provoquée par sa mère et il va perdre le contrôle de sa vie. C’est une brisure qui se fait étape par étape, qui est basée sur son pouvoir d’être beau. Comme il en est conscient, ça devient sa chute.
Tes personnages ont la fin trentaine. Les jeunes générations sont-elles moins touchées par cette réalité ?
Michel Marc Bouchard : J’en doute énormément. Il y a encore toute une notion d’excellence, peut-être pas autant basée sur des critères hétéronormatifs comme je l’aiconnue, mais il n’en demeure pas moins que les homosexuels sont dans une quête d’excellence et d’acceptation, comme si on devait s’excuser. Ce qui nous pousse à essayer d’être les meilleurs en tout, même dans une marginalité qu’on va travailler pour qu’elle soit éclatante.
À quel point cela fait-il partie de ton propre parcours de vie ?
Michel Marc Bouchard : Quand j’ai avoué à mes parents que j’étais homosexuel, j’ai ajouté que j’avais tenté toute ma vie d’être le fils parfait. Comment vous pourriez ne pas m’aimer ? Je suis depuis l’enfance votre idole. Cette espèce de course à la perfection reste dans notre ADN. J’aurais pu être un homme d’affaires ou un médecin, et j’aurais réussi. Comme si l’homosexuel n’a pas le droit d’échouer. Ça se traduit dans tous les volets de ma vie : dans les relations humaines, dans la façon de gérer ma maison, mes choix de vêtements. On est toujours dans une quête d’excellence.
Dirais-tu que David et Nicolas ont eu des enfants davantage pour correspondre au moule du succès hétéronormatif que par réelle envie d’être parents ?
Michel Marc Bouchard : Je n’ai aucun doute sur Nicolas et ses intentions de devenir parent. Vers la fin de la pièce, avant l’acte terrible, David reproche à Nicolas de l’avoir emprisonné dans la maison, le mariage et les enfants. David aime ses enfants, car ils sont un miroir pour lui, mais Nicolas les adore. C’est lui qui s’en occupe le plus.
Plus la pièce progresse, plus le portrait de leur famille parfaite se fissure. David croit que l’une de ses filles l’a vu commettre un geste impardonnable. Qu’est-ce qui fait qu’un homme en apparence si confiant craque complètement quand cela se produit ?
Michel Marc Bouchard : Sa confiance en est une de représentation. Il va commettre à ses yeux l’acte le plus décadent qui peut exister… si cet acte est vu. Il porte lui-même un jugement de dégoût sur ce qui s’est passé et quand il découvre que les petites candeurs que sont ses enfants l’ont peut-être vu, c’est absolument ingérable pour lui.
Pourquoi camper cette situation au cœur d’une fête d’enfants ?
Michel Marc Bouchard : Ça me permettait d’aller jusqu’au bout de cette espèce d’hétéronormativité sociale. Une fête d’enfants, c’est du social working. Les enfants sont là, mais les parents sont présents pour un autre agenda. Souvent, ils ne se connaissent pas intimement. Autrement dit, les parents entrent dans une zone étrangère. J’avais envie de situer la pièce là, car je trouvais que c’était une zone terrible de danger pour cet acte-là.
Pourquoi choisir François Arnaud pour interpréter David ?
Michel Marc Bouchard : Il faut dire que François est parmi mes plus proches amis. Nous avons fait Les grandes chaleurs quand il avait 25 ans et on s’est toujours suivi depuis. Il devait être le premier à jouer dans Tom à la ferme au théâtre. On avait cheminé ensemble durant deux ans sur ce projet, mais il a reçu l’offre de jouer dans The Borgias. Entre un cachet au Théâtre d’aujourd’hui et celui d’une grosse série américaine, c’était impossible à comparer. Malgré tout, on voulait absolument faire quelque chose ensemble un jour. Cela dit, le projet est né d’un acteur, Aquiles Pelanda, qui a joué Tom à la ferme en Argentine. Il était une splendeur ! Le monde se tournait pour le regarder. On a parlé du narcissisme tous les deux. À partir de là, j’ai commencé à écrire sur un personnage qui découvre le pouvoir de sa beauté. François est incontestablement beau et un grand acteur, mais il n’avait jamais joué un personnage presque mauvais. Je suis sûr qu’il va le rendre humain, mais j’ai hâte de le voir jouer sa déchéance.
Qu’est-ce qui vous a convaincu de faire appel à Iannicko N’Doua-Légaré pour jouer son amoureux ?
Michel Marc Bouchard : Ce que j’aime chez Iannicko, c’est qu’il a une véritable douceur. C’est une totale bienveillance. J’avais besoin d’un équilibre dans le couple. Je n’avais pas en tête de mettre en scène un couple multiracial, mais quand j’ai pensé à Iannicko, j’ai tout de suite vu le couple magnifique qu’il allait former sur scène avec François.
Pourquoi as-tu choisi Florent Siaud comme metteur en scène de la pièce ?
Michel Marc Bouchard : J’avais vu son Britannicus. On a fait La beauté du monde à l’Opéra de Montréal. Il y avait déjà une collégialité entre nous. J’aime beaucoup son travail et son approche. On a eu des discussions très sérieuses sur l’homoparentalité. Je trouvais ça intéressant pour les thèmes apportés et l’esthétique. Il y aura quelque chose de presque métaphorique au début et qui progressera vers quelque chose d’hyper réaliste. On est chez Bergman à la fin.
INFOS | Une fête d’enfants de Michel Marc Bouchard, dans une mise en scène de Florent Siaud, du 14 janvier au 8 février au Théâtre du Nouveau Monde (TNM).
https://tnm.qc.ca/2024-2025/une-fete-denfants
Allez lire aussi notre autre entrevue sur Une fête d’enfants, avec le metteur en scène Fiorent Siaud