Un texte fort, une mise en scène exceptionnelle, voilà ce que propose l’Usine C avec Histoire de la violence, d’Édouard Louis, et que s’est approprié Thomas Ostermeier pour nous en livrer la quintessence. La violence n’est pas que dans la rue, elle est partout, et même de la part de ceux qui sont censés nous en protéger. En ce sens, Édouard Louis, en relatant une relation d’un soir qui finit par le vol et le viol, dépasse l’anecdotisme du simple fait divers, et s’attaque à toutes les violences que l’on peut subir, et à celles qu’on s’impose de taire.
Disons-le tout de suite, les trois soirs sont complets, mais on peut toujours prendre une chance en tablant sur les annulations de dernier moment.
Profitons-en pour souligner le travail de la directrice générale de l’Usine C, Angela Konrad, et de son équipe pour nous faire découvrir des œuvres – plus que des spectacles – de l’étranger. Grâce à l’Usine C, on a pu découvrir celles et ceux qui remplissent les scènes en Europe et éclatent nos imaginations et nos réflexions.
Aujourd’hui, c’est le travail de Thomas Ostermeier qui est mis à l’honneur. Directeur artistique de la Schaubühne, un des plus grands théâtres de Berlin. Comme beaucoup de ses contemporains, l’homme s’attaque à des classiques à grand déploiement comme Hamlet ou la Nuit des rois de Shakespeare mais aussi à des œuvres plus intimistes. Mais toujours, il insuffle à tout ce qu’il touche la magie d’un nouveau souffle, une immense respiration qui balaie tout sur son passage.

Sa rencontre avec l’écrivain français Édouard Louis qui provoque, agace ou au contraire ravit (c’est mon cas) est l’occasion d’explorer et d’exposer les thèmes qui ne cessent de hanter l’auteur, de les mettre en lumière pour mieux les questionner, entre autres les rapports de force et de pouvoir selon son appartenance et ses origines sociales dans un monde injuste et inégal. Le narrateur qui pour une nuit de « baise » est agressé et violé, est une victime, et l’agresseur le sera de facto par un système qui le condamne sans même l’avoir vu et entendu. Il est algérien, sans papier, quelqu’un de non droit en somme, un homme dangereux par définition. La violence vécue, après l’avoir subie, est redoublée par le système qui lui impose pour le croire de dire et redire, donc de revivre ce qu’il a subi. Un homosexuel qui fait monter chez lui un inconnu pour une partie de jambes l’air n’a-t-il pas cherché, sinon mérité, ce qui lui est arrivé ?
Pour Angela Konrad, outre bien évidemment le thème abordé qui l’a bouleversée, c’est la traduction sur scène qu’en a effectué Thomas Ostermeier. « J’ai trouvé la pièce très forte par la créativité, et le jeu bien spécifique des comédien.ne.s de la Shaubühne, et dans la reconstitution que l’on pourrait qualifier de réalisme mais qui le dépasse, le transfigure pour en faire ressortir toutes les contradictions qui nous échappent le plus souvent, et peut-être aussi pour un théâtre où le texte prend toute sa place ».
Le choix de faire venir Histoire de la Violence est double. D’une part, Angela connaît très bien Thomas Ostermeier, et le théâtre la Schaubühne pour y avoir travaillé au tout début de sa carrière, d’autre part pour avoir été impressionné par l’écriture d’Édouard Louis. « J’ai découvert Édouard Louis et ce qui m’a frappé, c’est sa quête dans l’écriture, pour tenter de comprendre, où il démultiplie les voix et les points de vue, où le regard porté sur un événement peut-être donc vu et compris différemment selon celui qui parle, continue Angela Konrad. Thomas Ostermeier avait déjà monté une pièce à partir d’un roman d’un ami très proche d’Édouard Louis, Didier Eribon. Avec Retour à Reims, Didier Eribon, surtout connu comme philosophe et sociologue revenait sur son enfance et de ses difficultés de s’extraire de son milieu social. Il y a une parenté entre les deux auteurs qui a dû séduire Thomas Ostermeier ».
Une écriture qui avait tout pour séduire le metteur en scène allemand dans ses recherches de création. « Bien sûr, il est question d’homophobie, de xénophobie, de la famille, et cela dépasse l’enjeu personnel du drame de cette rencontre qui vire au viol, comment la famille et l’état par la police, la justice, posent un regard sur ce qui s’est passé. Un texte qui multiplie les perspectives de lecture et de mise en scène », conclut Angela Konrad.

Et si nos institutions ne répondaient pas à la violence que par la violence, une violence légale, dont serait dépositaire la justice, qui au lieu de réparer cultivait les antagonismes ?
On se prend à rêver. Récemment, Thomas Ostermeier a convaincu Édouard Louis d’incarner le narrateur d’un de ses romans, Qui a tué mon père. Déjà joué en et acclamé en Europe, on se prend à rêver que la pièce fasse un détour par le Québec.
INFO | Histoire de la violence, les 13, 14, et 15 mars 2025 à l’Usine C. Texte : Édouard Louis. Mise en scène : Thomas Ostermeier. Production de la Schaubühne de Berlin. Usine-c.com