Mardi, 20 mai 2025
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    FTA 25 : Wayqeycuna de Tiziano Cruz

    Une révélation pour moi lors du FTA 2023 que de voir sur scène, Tiziano Cruz, cet artiste argentin d’origine quechua se livrer, se dénuder en fait pour partager toutes ses interrogations et réflexions sur ce c’est qu’être un artiste qui revendique sa culture et ose la montrer sur les scènes occidentales.

    Soliloquio, le titre de son spectacle, était un véritable coup de poing pour nous emmener plus loin dans notre réflexion nourrie de culture occidentale et qui trop souvent nous rend imperméable à des cultures que l’on connaît à peine, que l’on se refuse à connaître. Tiziano Cruz revient avec le troisième volet de sa trilogie, Wayqeycuna.

    Engagé, Tiziano Cruz l’est jusqu’à l’origine de ses racines, habitée dans sa création par une culture qui a eu de cesse de s’effacer. Comme il le dit dans le long monologue de Soliloquio : « Beaucoup d’entre vous sont venus voir l’indigène en vogue au théâtre », ou plus loin « Nous sommes artistes migrant.e.s sur notre propre territoire ». Deux propositions fortes qui résument bien la démarche de cet indigène originaire de la province de Jujuy qui se confrontent aujourd’hui aux contradictions avec lesquelles il doit composer.

    Avec Soliloquio, l’artiste évoquait l’abandon de sa communauté pour rayonner à Buenos Aires puis dans d’autres festivals à travers le monde. Probablement le seul à connaître de sa communauté à connaître une reconnaissance internationale. Mais que percevait-on en lui ? Celui qui porte une voix singulière et qui rappelle une culture écrasée par le colonialisme, ou le « bon » indigène qui en présentant des danses et des chants traditionnels ne serait plus qu’un amusement folklorique pour touristes en mal d’exotisme. Tiziano Cruz a choisi de tout affronter, inscrit dans le marché de l’art, déclarant même en entrevue, se laisser « violer par les institutions » pour infiltrer un autre discours.

    Quand j’avais vu la parade organisée sur la rue Sainte-Catherine avec les danseurs, les danseuses, les musiciens, en costume traditionnel, je me suis demandé comment cela pouvait être perçu par le public, mais j’ai compris en te voyant ensuite seul en scène ?

    Comment vis-tu avec cette perception d’un public qui ne percevrait pas le message
    politique, ou tout du moins ce cri poussé ?

    Tiziano Cruz : Il y a bien sûr une contradiction et un malaise quand j’ai commencé à jouer mes premiers spectacles. D’une part, j’étais peut-être le premier artiste de ma communauté à être reconnue à l’extérieur, mais en même temps, je me demandais si je ne trahissais pas les miens en m’exposant et en les exposant ainsi. Aujourd’hui, les contradictions sont des outils dans mon travail. En présentant notre culture, je sais qu’il y a un concept d’exotisme, car nous sommes ainsi, mais c’est le problème de ceux qui nous regardent, pas le nôtre. Notre culture est ainsi faite, avec la joie, les couleurs, la danse, la mort aussi.

    Tout comme je suis conscient qu’en parlant de la pauvreté, les difficultés de nos communautés, on peut y voir une stratégie pour séduire le public mais je pense que je peux l’amener plus loin dans la réflexion. Je suis le premier artiste de l’Argentine du Nord, issu de la communauté Quechua qui parle de cette communauté car l’Argentine est aussi un pays raciste, centralisé à Buenos Aires pour les arts, et qui est marquée par culture européenne et le colonialisme. Il y a une indigenaphobia très forte que l’on retrouve par exemple dans le système de santé, le système d’éducation, ou encore en politique. Nous sommes une population abandonnée par le gouvernement.

    C’est ce que tu défendais dans Soliloquio. Avec Weyqeycuna, c’est un retour vers ta
    communauté ?

    Tiziano Cruz : Wayqeycuna qui signifie « mes frères à moi » est le troisième chant de la trilogie que j’appelle « Tres maneras de cantarle a una montaña », c’est de rappeler que toute notre vie est une question de survie et de lutte contre la mort. Notre vie comme communauté indigène est perpétuellement en danger, ce n’est pas une métaphore, c’est la réalité. Ma sœur, puis ma mère sont mortes fautes de service de santé, c’est une réalité.

    C’est ce que je tente de montrer en cherchant d’autres formes de narration pour mettre en valeur cette communauté et aussi de supprimer les barrières entre le public et la scène parce que dans notre culture cette barrière n’existe pas. C’est pour cela que l’on partage du pain avec le public. Ce partage du pain est très important dans notre culture et représente la connexion entre la vie et la mort. En fait, pour résumer mon travail, je me sens comme un enfant qui gravit une montagne et qui chante, une stratégie pour trouver des formes qui mettent en valeur ma communauté, pour transposer les philosophies indigènes dans le champ de l’art.

    Dans Soliloquio, tu évoquais aussi ton homosexualité. Je sais que le terme est impropre et ne signifie pas grand-chose dans ta culture.
    Tiziano Cruz : Effectivement, on parle dans notre culture de personnes qui ont deux âmes ou deux esprits réunissant la partie féminine et masculine. Ces personnes jouaient un rôle bien particulier dans nos communautés, elles étaient des guides. Elles ont disparu avec la colonisation qui a imposé la binarisation, on est soit l’un l’autre.

    Pourtant, je suis l’une d’entre elle. Et j’ai dû à un moment quitté ma communauté parce que mes parents ne savaient pas comme élever une personne comme moi et que ma communauté ne m’acceptait pas non plus, comme beaucoup de personnes comme moi d’ailleurs. Et je ne percevais pas comme homosexuel ou comme queer, parce que cela ne me représente pas non plus. J’ai aussi voulu dans mon travail de rappeler l’importance de ces personnes bispirituelles dans notre culture mais aussi dans notre communauté aujourd’hui.

    INFOS | Wayqeycuna / De Tiziano cruz
    FTA / Théâtre rouge du conservatoire
    Le 31 mai et les 1er, 2, 3 juin 2025
    https://www.fta.ca

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