Comme beaucoup d’organismes lesbiens, les Archives lesbiennes du Québec (jadis nommées Traces) ont connu une période d’effervescence à l’époque où elles étaient installées à l’école Gilford. Certes, à l’aube de leur 40e anniversaire et d’un déménagement dans un nouveau lieu convivial, les projets sont féconds : il faut dire que les archivistes et bénévoles des Archives ont su traverser vents et marées depuis la fondation de l’organisme en 1983. Elles se prêtent ici au jeu de l’entrevue pour nous faire connaitre ce lieu empreint de secrets, où les lesbiennes auront envie de venir faire un tour.
L’ouverture officielle des Archives Traces a lieu le 14 avril 1983. Comment a débuté l’aventure des Archives lesbiennes ?
La collective des Archives Traces a été fondée début 1983 par quatre lesbiennes qui voulaient donner une mémoire au mouvement des lesbiennes. En quelques mois, elles ont rassemblé un impressionnant fonds documentaire, que les lesbiennes pouvaient venir consulter lors d’une permanence hebdomadaire à La Kahéna, un restaurant sur le Plateau tenu par des lesbiennes.
Quelle est la mission des Archives lesbiennes du Québec ?
La collective des Archives Traces voulait « recueillir et classifier toutes les informations et les documents rendant compte de l’existence, de la réflexion politique et de la créativité des lesbiennes, au niveau québécois et international et rendre cette documentation accessible à toutes les lesbiennes ». Les fondatrices espéraient aussi faire des archives « un lieu d’échanges et de rencontres qui nous aide à développer une pensée lesbienne qui soit le reflet de nos vies et de nos aspirations ». Le collectif actuel des Archives lesbiennes du Québec est assez fidèle à cette mission d’origine puisque nous voulons « retrouver, conserver et faire vivre les traces des lesbiennes au Québec ».
Est-ce qu’archiver, c’est militer ?
Dans la mesure où la visibilité des lesbiennes n’est pas encore acquise, archiver est un geste militant, puisque c’est assurer une visibilité dans le temps ! Concrètement, les Archives lesbiennes du Québec existent depuis 40 ans grâce à l’engagement d’archivistes bénévoles et militantes.
Au-delà des trésors de vos collections, archiver n’est-ce pas aussi une façon de se trouver soi-même au sein d’une communauté et de prendre part à la mise en lumière de cette communauté ?
On n’apprend pas l’histoire des lesbiennes à l’école. Encore aujourd’hui, se découvrir lesbienne est un parcours assez solitaire. Ça n’est pas toujours simple de trouver d’autres lesbiennes pour se constituer un cercle d’amies, une communauté. Les Archives permettent de découvrir ce que d’autres lesbiennes ont vécu avant nous, de s’inscrire dans une continuité historique. Pour se trouver soi-même, pour décider où on veut aller, c’est important de savoir d’où l’on vient.
Est-ce que l’aventure des Archives vous a permis de rencontrer d’autres archivistes ?
Il y a quelques archivistes « professionnelles » (qui ont une formation en archivistique ou en sciences de l’information) dans l’équipe des Archives, mais il y a surtout des personnes qui sont curieuses et qui ont envie d’en savoir plus sur les lesbiennes !
Quels sont/et furent les principaux défis, tant thématiques qu’organisationnels, auxquels l’organisation est/fut confrontée ?
Le financement est un grand défi depuis les débuts. En général, les organismes LGBTQ+ sont mal financés. Même chose pour les centres d’archives communautaires (les sociétés d’histoire locale, par exemple). C’est donc aussi le lot des Archives lesbiennes du Québec. Ces dernières années, nous avons réussi à obtenir des subventions sur des projets précis, mais nous n’avons toujours pas de financement gouvernemental récurrent pour le fonctionnement. Nous comptons sur la générosité de donatrices (et de donateurs). Nous espérons que l’obtention récente du statut d’organisme de bienfaisance nous aidera à convaincre plus de personnes de faire preuve de générosité. Bien que la dématérialisation et le télétravail soient au goût du jour, il nous apparait aussi très important d’avoir un lieu physique, un local pour que les intéressées puissent venir consulter les documents. Les points de vue qui s’opposent au sein du/des mouvement/s lesbien/s, ça ne date pas d’hier… Pourtant, nous avons plus en commun que nous ne le croyons ! Avec le recul, quand on regarde les documents d’archives, on se demande parfois pourquoi certains débats ont été aussi vifs et on se rend compte que beaucoup de sujets contemporains préoccupent les lesbiennes depuis longtemps (racisme, grossophobie, etc.). On gagnerait à se parler ! Une des missions des Archives lesbiennes, c’est aussi de permettre un dialogue entre lesbiennes de différentes générations. Les Archives célèbrent leur 40e anniversaire d’existence cette année.
Que nous réservez-vous ?
Ce 40e anniversaire sera marqué par un retour sur le Plateau, puisque les Archives iront s’installer à la Cité-des-Hospitalières, au coin des avenues des Pins et du Parc. Nous préparons aussi un événement spécial le samedi 10 juin, une journée au cours de laquelle nous organiserons des ateliers thématiques pour mettre en valeur nos collections et pour recueillir de nouveaux artéfacts. Les lesbiennes archivistes militantes qui ont fait vivre les Archives lesbiennes au fil des ans viendront nous raconter notre histoire. Il y aura aussi un volet culturel et on terminera la journée au son des chansons qui ont fait danser les lesbiennes au cours des 40 dernières années.
Des projets pour les années à venir ?
Il y a encore tellement de choses à faire pour assurer la conservation à long terme de nos collections et pour les faire vivre ! Nous avons entrepris de numériser certains documents. Nous comptons poursuivre nos efforts en ce sens. Nous voudrions aussi développer notre présence en ligne, recueillir des histoires orales et rassembler les documents des premières générations de militantes québécoises. Et puis, on n’en a pas toujours conscience, mais on produit des archives tous les jours ! Il faut les recueillir et les conserver pour celles qui viendront après nous…
Le local des Archives lesbiennes est ouvert le mardi de 14 h à 19 h et présentement situé à la Bibliothèque à livres ouverts au Centre communautaire LGBTQ+. Il est possible de venir aux archives à un autre moment en prenant rendez-vous. Il suffit de communiquer par courriel à [email protected] ou par téléphone au : 514 370-3616.
Pour faire un don : https://www.zeffy.com
• • •
Trois courtes questions aux archivistes Laure Neuville, Julie Podmore, Pascale Noizet, Danielle Chagnon, Louise Turcotte et Anne Michaud.
Depuis quelle année êtes-vous impliquée aux Archives ?
Laure : Je travaillais à la Bibliothèque à livres ouverts quand les boîtes des Archives se sont retrouvées au Centre communautaire LGBTQ+ en 2001. C’est à partir de ce moment-là que j’ai voulu rassembler un noyau de personnes autour des archives pour les faire vivre. Après quelques tentatives infructueuses, c’est chose faite depuis 2016 !
Julie : Depuis 2016, quand Laure Neuville m’invita à faire partie de la collective qui avait comme mandat de relancer et d’enregistrer les archives. À ce moment-là, je faisais également partie du CA des Archives gaies du Québec et je voulais utiliser ce que j’avais appris en travaillant au sein de cet organisme pour appuyer les archives lesbiennes.
Pascale : Je me suis occupée des Archives lesbiennes de 1985 à 1994. En 1986, j’ai participé à l’installation des Archives Traces dans un lieu public, soit l’école Gilford.
Danielle : J’ai été membre du collectif des Archives dans les années 80.
Louise : Je suis impliquée aux Archives depuis ma retraite en 2017.
Anne : J’ai fait partie de la collective des quatre fondatrices des Archives Traces en 1982 et 1983.
Quelle est la raison première de votre implication aux Archives ?
Laure : J’ai entendu parler des Archives lesbiennes quand je suis arrivée à Montréal en 1989. J’ai voulu les consulter quelques années plus tard, malheureusement c’était après la fermeture du local à l’école Gilford et je n’ai pas réussi à y avoir accès… J’ai donc à cœur d’assurer que les Archives lesbiennes soient accessibles.
Julie : En tant que chercheure, pendant plusieurs années j’ai souhaité que ces archives soient plus accessibles. Lorsque j’ai commencé à travailler avec la collective, j’ai réalisé que les ALQ avaient le potentiel de devenir un point de départ pour bâtir un mouvement plus large autour de l’histoire lesbienne locale au-delà de ses collections.
Pascale : Mon engagement au sein des Archives Traces se fondait sur cette idée que l’histoire des lesbiennes leur appartient, il s’agit d’affirmer cette volonté d’autonomie qui se porte garante de nos singularités sociales, politiques et culturelles.
Danielle : J’ai repris du service à ma retraite en 2019 en espérant que ma formation et mon expérience de bibliothécaire puissent contribuer à diffuser davantage toutes nos collections.
Louise : La raison principale de mon implication est le désir de montrer que les lesbiennes ont été actives dans plusieurs domaines : la politique, la création, etc. L’importance de garder en mémoire notre histoire.
Anne : Nous souhaitions participer au développement de la communauté lesbienne en créant un lieu qui puisse réunir les traces de notre histoire, de notre mémoire collective et favoriser les échanges pour développer une PENSÉE LESBIENNE qui soit le reflet de nos vies et de nos aspirations (extrait du feuillet de promotion — 1983).
Nommez un ou deux « trésors » des Archives Traces qui méritent qu’on s’y attarde ?
Laure : On trouve dans les collections des Archives lesbiennes ce qui est généralement considéré comme le premier périodique lesbien publié au Canada : Long Time Coming.
Julie : Tout ce que l’on trouve dans les Archives est de grande valeur, mais j’ai un penchant pour les petites traces tangibles de la culture lesbienne comme les cartons d’allumettes, les macarons et les affiches.
Pascale : L’une des belles réalisations est d’avoir créé un répertoire bibliographique, alors que nous n’étions pas encore à l’ère du vagabondage informatique.
Danielle : On a plusieurs documents qui ont un caractère unique, dont les enregistrements des concerts de la chorale lesbienne et de la chorale Laodamia, qui datent des années 80. On a également un fonds riche sur la vidéo Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui.
Louise : Bien évidemment, puisque j’ai fait partie de AHLA, ce sont toutes les bandes vidéo du tournage et tous nos documents du montage.
Anne : Le cahier de bord qui décrit le contexte politique de l’époque de la création des Archives (diversité parmi les fondatrices : une lesbienne radicale, une lesbienne féministe et deux lesbiennes tout court ; puis débat où nous devions dire si nous considérions les femmes hétérosexuelles comme des alliées ou des ennemies de la cause lesbienne).
INFOS | Archives lesbiennes du Québec www.archiveslesbiennesduquebec.ca