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    Peter Hujar, portraits de la vie et de la mort

    Biennale Venise, 2024. À quelques pas du palais des Doges, la Chiesa di Santa Maria della Pietà offrait, dans le cadre des événements collatéraux de la Biennale de Venise, une expérience aussi sobre que bouleversante : Peter Hujar: Portraits in Life and Death. Une exposition rare, méditative, qui réunit l’intégralité du seul livre publié du vivant du photographe américain, disparu en 1987 des suites de complications liées au sida.

    Susan Sontag écrivait que « la photographie transforme le monde entier en cimetière ». Cette phrase, tirée d’un essai rédigé avant la publication de On Photography (1977), résonne avec une force particulière ici. Elle accompagnait d’ailleurs le livre de Peter Hujar, paru en 1976, à une époque où l’artiste demeurait presque inconnu en dehors du cercle bohème et queer du Lower East Side new-yorkais. Ironie cruelle : ce n’est qu’après sa mort que son œuvre sera reconnue — avec celle de Mapplethorpe, un contemporain — comme l’une des plus importantes de sa génération.

    Présentée à Venise dans le cadre du thème Foreigners Everywhere, orchestré par le commissaire Adriano Pedrosa, l’exposition s’inscrit pleinement dans une réflexion sur les figures marginales, queer et dissidentes. Commissariée par Grace Deveney (Art Institute of Chicago), elle rassemble les 41 photographies du livre, exposées pour la première fois en Europe dans leur ensemble.

    L’espace sacré de l’église — la Chiesa di Santa Maria della Pietà — accentue la dimension funèbre et contemplative de l’œuvre. Deux corpus s’y répondent : d’un côté, les portraits de proches — artistes, écrivain·e·s, performeur·euse·s — figures emblématiques de l’underground new-yorkais des années 1970 ; de l’autre, les photographies saisissantes de corps momifiés des catacombes capucines de Palerme, réalisées en 1963 alors que Hujar bénéficiait d’une bourse Fulbright, en compagnie de son amant, l’artiste Paul Thek (ci-dessous).

    Susan Sontag, elle-même portraiturée par Hujar, écrivait que les sujets de ces images « semblent méditer sur leur propre mortalité ». Elle affirmait surtout que Hujar savait que « les portraits de la vie sont toujours aussi des portraits de la mort ». Cette tension traverse toute l’exposition. Les visages vivants — Divine, Fran Lebowitz, Robert Wilson, John Waters — semblent parfois aussi immobiles, aussi suspendus que les dépouilles siciliennes qui leur font face. Plusieurs figures sont allongées, les yeux clos ou absents, comme si la frontière entre sommeil, extase et disparition s’était dissoute.

    Grace Deveney parle d’une « beauté et d’une ironie morbide » : celle de corps morts mis en scène pour paraître vivants, et de corps vivants photographiés comme s’ils étaient déjà ailleurs. Le dialogue entre ces deux mondes, renforcé par l’accrochage, crée un malaise fertile, une réflexion sur la fragilité des corps, sur le temps, sur la mémoire — et sur la disparition imminente d’une communauté queer bientôt décimée par l’épidémie de sida.

    Pour le critique Vince Aletti, ami proche de Hujar et lui-même sujet d’un des portraits exposés, ce livre est fondamental : « C’est le seul que Peter ait réalisé. Il a continué à produire des œuvres extraordinaires, mais il est mort avant qu’elles puissent être réunies. » Aletti souligne la justesse du regard de Hujar : «jamais sentimental, toujours profondément humain. Qu’il photographie une mer agitée, un animal mort ou une célébrité à peine connue, Hujar cherche une vérité nue, persistante, qui continue de vibrer longtemps après».

    Voir Portraits in Life and Death à Venise, dans la lumière filtrée d’une église baroque, donne à cette œuvre une résonance presque liturgique. Ce n’est pas seulement une exposition de photographie : c’est une méditation sur la mortalité, sur l’amour, sur la communauté, et sur ce que signifie regarder — vraiment — quelqu’un, sachant qu’il ou elle est déjà, d’une certaine manière, en train de disparaître.

    INFOS | Peter Hujar: Portraits in Life and Death à la Chiesa di Santa Maria della Pietà, à Venise. Du 20 avril – 24 novembre 2024.

    (photos des œuvres exposées, prises par Yves Lafontaine)

    Voici une excellente vidéo qui revient sur cette exposition :

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