Dimanche, 16 mars 2025
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    Chemsex entre euphorie et périls

    Baiser sous influence : source infinie de plaisirs ou puits sans fond de problèmes ? Et si la réponse se trouvait entre les deux, dans un lot de nuances, comme l’explique Maxime Blanchette, professeur en travail social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, qui s’intéresse à la consommation sexualisée.

    Qu’est-ce qui t’a poussé à développer une expertise sur les enjeux du chemsex ?
    Maxime Blanchette : Ça fait plus de 10 ans que je travaille dans le milieu de la consommation sexualisée. En 2014, quand on faisait les tests pour la PrEP au CHUM, on entendait beaucoup les participants parler de consommation et de sexualité, mais le chemsex était encore une expression nouvelle. J’ai continué à travailler dans l’univers de la sexualité et des dépendances auprès des GBHarsah (Gais, Bisexuels, Hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes).

    Puis, en commençant à travailler comme TS à l’Actuel en 2017, je voyais presque exclusivement des hommes avec des pratiques de consommation sexualisée. Il y avait un trou de services pour eux. Comme j’ai toujours envie de faire changer les choses, j’ai pensé devenir professeur et chercheur dans ce domaine pour avoir un impact sur les politiques et la mise en place d’interventions.

    À quel point les communautés queers sont-elles sensibilisées au chemsex ?
    Maxime Blanchette : On gagnerait à en parler davantage. Je parle de consommation
    sexualisée pour élargir à toutes les substances, à toutes les orientations sexuelles et à tous les genres, alors que le chemsex est ancré dans un contexte culturel précis. Si on ne passe pas par la population au sens large, on n’y arrivera pas. Ceci dit, il faut aussi faire de la sensibilisation ciblée. Ça fait partie de certaines normes culturelles. Par exemple, chez les GBHarsah, il y a plus de gens qui vont s’adonner à ces pratiques.

    J’entends souvent dire que tout le monde fait ça, mais personne n’en parle. À quel point est-ce fréquent ?
    Maxime Blanchette : Comme c’est tabou, ce n’est pas tout le monde qui en discute entre amis. Aussi, ça dépend de ce qu’on entend par chemsex : si on parle d’utilisation de méthamphétamine ou de GHB, on va avoir un groupe de personnes plus limité. Mais si on parle de relations sexuelles sous les effets de l’alcool, on a beaucoup plus de gens qui ont des pratiques de consommation sexualisée. C’est fréquent dans le milieu queer que l’alcool et la sexualité soient liés, surtout si on a l’intention de consommer pour avoir de la sexualité, consciemment ou non.

    Y a-t-il un degré de chemsex sans risque ?
    Maxime Blanchette : Les risques sont principalement liés à la consommation. Si on boit de l’alcool, ce n’est pas problématique en soi : tu peux prendre un verre le vendredi avec tes amis, mais ça peut devenir un enjeu si, après chaque journée de travail, tu dois prendre une bouteille de vin pour te sentir mieux. Ça devient ta seule stratégie d’adaptation.

    La consommation sexualisée peut être utilisée pour pimenter le sexe : deux personnes peuvent prendre un verre ou un peu de GHB pour baiser, de manière ponctuelle. Ça peut devenir problématique si c’est sa seule façon d’avoir accès à la sexualité. Ou si ça a des impacts sur le reste de sa vie. Si une personne baise pendant 48 h la fin de semaine, qu’elle a de la difficulté à s’en remettre et qu’elle doit manquer le travail, il y a des conséquences qui vont au-delà du simple plaisir.

    Les adeptes de consommation sexualisée ont-iels souvent la conviction de rester en
    contrôle ?

    Maxime Blanchette : Ça dépend à qui on parle et où iels se situent dans leur introspection. En dépendance, plusieurs personnes peuvent avoir un sentiment de contrôle. Quand elles sont en train de le perdre, elles vont aller voir un.e intervenant.e. D’autres seront inconscientes des conséquences.

    Quels peuvent être les impacts du chemsex sur les relations sexuelles ?
    Maxime Blanchette : Dans le positif, ça augmente souvent la libido, ça peut permettre de se sentir plus performant, de connecter avec l’autre personne, d’avoir accès à des relations sexuelles pour certaines personnes (à cause de l’image corporelle, par exemple), sans oublier l’effet de la consommation elle-même qui peut procurer du plaisir.

    Dans le négatif, en multipliant les partenaires, on augmente le risque de contracter des ITSS et le VIH. Si le chemsex est une pratique répétée, on peut développer un problème de consommation. Si on consulte pour arrêter ou changer ses comportements de consommation, ça peut devenir difficile de dissocier la sexualité et la consommation. Ou carrément de ressentir du plaisir sexuel sans consommation. La libido peut diminuer et l’orgasme peut devenir plus difficile à atteindre ou moins satisfaisant.

    Voit-on un lien direct entre le sevrage de substances et une période d’abstinence sexuelle ?
    Maxime Blanchette : Oui, pour certaines personnes, la façon d’arrêter le chemsex, c’est l’abstinence de tout, le sexe et la consommation, pendant un temps. Ensuite, elles vont réintroduire la sexualité. C’est une façon d’apporter des changements à sa vie. D’autres personnes vont opter pour la réduction des méfaits : elles vont changer de substance, décider qu’une consommation sur deux sera sous l’effet de consommation ou plusieurs autres stratégies pour diminuer.

    Ça devient un double défi.
    Maxime Blanchette : Elles arrêtent deux choses qu’elles aiment beaucoup en même temps. En plus, quand on arrête la consommation, on est souvent confronté à certaines émotions et pensées qu’on essayait de camoufler, comme une faible estime de son physique ou l’impression de ne pas être assez performant. C’est beaucoup de choses à mener de front.

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