Vendredi, 25 avril 2025
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    Station C : Une décision de la cour d’appel pourrait changer la donne dans le Village

    Un jugement de la cour d’appel du Québec vient de statuer qu’à partir de 1999 les commerces situés dans l’immeuble emblématique de la Station C ne pouvaient pas obtenir de permis d’alcool étant donné que l’immeuble est situé à moins de 25 mètres du Complexe Sky.

    L’immeuble du 1450, rue Sainte-Catherine Est (qui a été notamment un bureau de poste, un théâtre et qui a abrité de nombreux bars et discothèques) a été acquis, en 2005, par Stephen Shiller et de Danny Lavy. Depuis, plusieurs bars, dont le Klok, l’Apollon, le Code et le Play s’y sont succédés et ont toujours pu obtenir (pas toujours facilement) des permis d’alcool de la Régie des Alcools, des courses et des jeux du Québec prétextant un droit acquis. Ce droit avait pourtant été révoqué par la Ville, en 1999, après quelques années d’inoccupation.

    Plus ou moins au même moment, après des plaintes de résidents concernant le bruit, l’arrondissement Ville-Marie avait adopté une nouvelle règle qui imposait une distance minimale de 25 mètres entre deux bars. Ce contingentement, imposé dans l’arrondissement de Ville-Marie pour permettre une meilleure qualité de vie des résidents du quartier, limite l’ouverture et l’exploitation de nouveaux établissements de ce type et stipule des droits acquis dans l’exploitation de «débits de boissons alcooliques» à condition qu’il n’y ait pas d’interruption d’activité aux adresses spécifiques des commerces.

    Dans cette affaire, on retrouve, d’un côté, les hommes d’affaires Peter Sergakis (Complexe Sky) et André Bousquet (Unity II), ainsi que des citoyens du quartier qui contestaient, depuis 2003, le droit de permis de cet immeuble, situé à moins de 25 mètres du Complexe Sky. Et, de l’autre côté, Stephen Shiller, le fils du fondateur du Marché du store, et Danny Lavy, son partenaire immobilier, qui tentaient d’obtenir une somme de 1,85 M$ de la Ville de Montréal pour compenser des erreurs de fonctionnaires municipaux, soutenant qu’ils n’auraient jamais acheté l’immeuble s’il était impossible d’obtenir un permis d’alcool, comme la cour avait statuée, au début 2015.

    Les trois juges de la Cour d’appel, dans leur jugement de 14 pages rendu le 16 février dernier, ont rejeté les arguments des avocats de Shiller/Lavy. Selon les juges, la décision de la Cour supérieure (en 2015) était juste en estimant que l’immeuble ne détenait pas de droit acquis et n’aurait donc pas dû obtenir de permis d’alcool après 1999. Le jugement dit en substance, que les fonctionnaires n’auraient pas dû émettre un permis d’opération commerciale en tant que «bar» («débits de boissons alcooliques») pour cet édifice. Par ailleurs, les trois juges de la Cour d’appel considèrent que les acheteurs de cet immeuble n’ont pas fait la démonstration que la vente ou l’achat était étroitement lié à la détention du permis d’alcool.

    Actuellement, c’est la discothèque PLAY MONTREAL qui loge dans la partie la plus ancienne de l’immeuble (l’arrière de l’immeuble a été démoli l’an dernier pour faire place à un projet de condos). Suite au jugement de la Cour d’appel du Québec, il semble que le Play pourra tout de même se servir de son permis de boissons pour une période d’environ deux mois. Des démarches légales seraient en préparation par les propriétaires de l’édifice, selon le message placé sur la page Facebook du bar, dont voici un extrait :

    «À la suite d’un récent arrêt de la Cour d’appel du Québec, l’équipe de direction du PLAY tient à clarifier la situation et rassurer sa clientèle que le l’établissement est là pour rester. Nous travaillons en étroite collaboration avec les propriétaires de l’édifice, ainsi qu’avec la ville de Montréal pour préserver la vocation actuelle du lieu unique qu’est le bâtiment patrimonial de la Station C. (…) Dans l’immédiat, l’arrêt de la Cour d’appel du Québec signifie que les permis accordés en bonne et due forme au PLAY seront encore en vigueur pour une période de 60 jours. (…) Mais sur le plan légal, d’autres démarches sont en préparation par les propriétaires et la Ville de Montréal, qui n’entendent pas laisser le Village perdre l’une de ses principales destinations à la veille du 375e anniversaire de Montréal et du festival Canada Fierté 2017. D’autres annonces sont à venir dans les prochains jours», fait-on savoir.

    Selon nos sources, certains propriétaires de bars auraient retardé depuis deux ans des investissements importants à leur établissements situés dans le secteur du Village, en attente d’une décision de la cour d’appel dans cette affaire.

    UN PEU D’HISTOIRE …

    Érigé en 1911, dans la plus pure architecture néo-classique typique du début du siècle, l’édifice connu sous le nom de «Station C» fut d’abord un important bureau de triage pour le courrier à destination de la population du Quartier Centre-Sud, qui atteint plus de 90 000 personnes à l’époque. Après la Seconde Guerre mondiale, le quartier amorce une période de désindustrialisation. Avec le déclin du quartier et des coûts d’exploitation trop élevés, Postes Canada prend la décision de fermer la succursale à la fin des années 60 ou au début des années 70. La Station C restera inoccupée jusque dans les années 80 alors qu’un groupe d’artistes le transforme et l’agrandi par l’arrière, grâce à une subvention du Ministère de la culture, pour devenir le Théâtre Félix-Leclerc. Mais l’aventure est de courte durée et le théâtre fait faillite.

    Il faudra attendre que le K.O.X. — ce mythique bar gai ouvert en 1982 sur la rue Montcalm — y déménage ses pénates au début des années 90. C’est l’ère de gloire, les soirées à la «new-yorkaise» y font fureur, on ne compte plus les «lineups» ni les DJ internationaux. Même Madonna y fera une apparition… Le BBCM y tiendra d’ailleurs plusieurs partys des plus délirants (des soirées Wild & Wet, Hot & Dry, des Bal des Boys, des Bal en cuir et militaires)! Le complexe abritera jusqu’à 3 bars différents au même moment, dont un pour les femmes, le K2, un lounge bar, le Kaché et un bar underground, le Katakombes, au sous-sol, en plus du K.O.X..

    Le K.O.X./Katakombes défraie la manchette, en février 1994, alors que des policiers investissent les lieux et y arrêtent tous les hommes présents (près de 170) pour s’être trouvés dans une «maison de débauche». Traités en criminels, beaucoup vont souffrir longtemps de cet épisode traumatisant. Était-ce une tactique d’intimidation de la police, qui avait visité aussi la discothèque Max et les 2R (un bar de danseurs nus) dans les mois précédents? On ne le saura jamais. Quoi qu’il en soit, cet événement survient à peine quelques semaines après les audiences de la Commission des droits de la personne qui pointait du doigt, entre autres, la police pour sa répression à l’égard de la communauté gaie. Mais la police est prise à son propre jeu et doit abandonner les accusations contre 92 des 165 personnes arrêtées. En fin de compte, après des pressions, seulement une poignée d’entre eux seront formellement accusés.

    Cela dit, le K.O.X. aura de la difficulté à se remettre de cette descente et survivra de peine et de misère jusqu’en 1996. On tente de le relancer sous le nom du HOME, mais l’expérience ne dure pas. Pendant plus d’une année, l’édifice de la Station C demeure alors innocupé. On pense même y aménager le Centre communautaire LGBT, mais le projet ne voit pas le jour.

    Début 2003, un couple d’hommes d’affaires français achètent l’édifice et y opèrent un centre consacré à l’art actuel. C’est d’ailleurs là que sera présenté le premier spectacle de la troupe de cirque Les 7 doigts de la main. Les rénovations sont toutefois très coûteuses pour les investisseurs français et les revenus ne sont pas au rendez-vous. On met la clé sous la porte à nouveau.

    À l’été 2006, alors que la Cour suprême du Canada vient de statuer sur la légalité des clubs échangistes, d’autres entrepreneurs occupent la bâtisse (qui avait été rachetée entretemps par le duo Shiller/Lavy) reconvertie en sexclub gai à l’européenne ! Sexclub ou pas, la clientèle n’afflue pas et, encore une fois, le bel édifice est laissé aux éléments. Après une multitude de projets, qui s’avèrent n’être que des rumeurs, Patrick Legendre, qui avait été de l’aventure du Playground, tente de relancer l’endroit sous le nom du KLOK et convainc (avec le soutien d’une coalition en faveur de la préservation de l’aspect festif du quartier) les autorités responsables que l’édifice doit réobtenir son permis d’alcool. Malheureusement le bar ne fonctionne pas très longtemps. Finalement, en 2011, les promoteurs de l’ancien Club Parking y ouvrent deux bars et l’édifice reprend vraiment vie, cette fois-ci avec le club Apollon au rez-de-chaussée et un bar cuir au sous-sol, rebaptisé en l’honneur du premier bar Katakombes. L’expérience de l’Apollon se poursuit avec succès pendant quatre ans, avant d’être remplacé par le CODE, puis par le PLAY MONTRÉAL en décembre 2015.

    — par Yves Lafontaine et André-Constantin Passiour

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