Mercredi, 4 décembre 2024
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    Victor Madrugal-Borloz

    Les personnes LGBTQ+ à travers le monde, l’engagement d’une vie

    Victor Madrugal-Borloz est un avocat du Costa Rica. Il est secrétaire général du Conseil international de réhabilitation des victimes de la torture et expert indépendant des Nations unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Victor Madrugal-Borloz était invité virtuellement par Equitas dans le cadre de la série d’événements EquiTalks fin octobre dernier. Il y a parlé entre autres de la situation des réfugié.es LGBTQ+.

    Parmi les invité.es à ses côtés, plusieurs personnes bien connues au Québec, dont Diane Labelle, Solange Musanganya ou encore Janik Bastien Charlebois, chacun.e apportant son expertise et ses commentaires dans leur champ d’intervention. Du côté des institutions gouvernementales, la ministre du Développement international, Karina Gould, qui a un long parcours d’activiste communautaire.


    Si les organismes LGBTQ+ à travers le monde connaissent bien Victor Madrugal-Borloz, il est moins sûr que l’homme le soit du grand public et même de celles et ceux qui composent la diversité sexuelle. Pourtant, son travail en collaboration avec les principaux intéressé.es permet de faire remonter au plus niveau, l’ONU, les préoccupations – et elles sont nombreuses – des personnes LGBTQ+ et de témoigner ainsi de la violence et de la discrimination dont elles sont victimes et parfois de façon systémique dans encore de trop nombreux pays. Rencontre avec un homme qui croit que l’ONU joue un rôle crucial dans l’avancée des droits et de la protection des LGBTQ+ sur la planète.


    Créer un mandat spécial à l’ONU concernant les questions LGBTQ+ n’a pas dû être un processus facile?
    La création du mandat a été un processus extraordinaire dans le contexte international sur les droits de la personne. Ce processus a duré au moins 10 ans. Nous avons pu compter sur le travail extraordinaire des organisations de la société civile, j’ai pu compter plus de 1 000 organisations de plus de 170 pays qui pensaient que c’était essentiel que l’ONU reconnaisse que l’orientation sexuelle et l’identité de genre n’était pas seulement un point nécessaire, mais un point absolument essentiel pour l’analyse et pour cibler la discrimination qui existait à l’égard des personnes LGBTQI à travers le monde. L’organisation s’est donc dotée d’un expert rapporteur indépendant dont la tâche est d’analyser la situation de discrimination et de violence autour du monde, de faire un rapport annuel et de le présenter au Conseil des droits de l’homme et à l’Assemblée générale de l’ONU.


    Le mandat a été créé au milieu d’une grande discussion qui a brisé le monde des représentations étatiques en deux, entre les États qui pensaient que c’est un point valable et nécessaire d’une part, et d’autre part une coalition d’États, les États d’Afrique subsaharienne, les États du Moyen-Orient, la communauté d’États indépendants qui disaient que la création de ce mandat correspondait à un agenda un peu obscur, comme celui de faire la promotion de l’homosexualité. Ces États résistaient à la création de ce mandat. Cela a été un processus dramatique. Il y a eu 5 votes qui ont été menés au sein du Conseil des droits de l’homme et de l’Assemblée générale de l’ONU, et la création du mandat a été adopté à deux ou trois voix de majorité à la fin de 2016.


    C’est tout d’abord Vitit Muntarbhorn, d’origine thaïlandaise qui a hérité de ce mandat mais qui a dû se retirer pour des questions de santé. Moi, j’avais participé au processus du nouvel expert indépendant et j’ai été nommé par le Conseil des droits de l’homme. Ce n’était pas mon premier poste pour tout ce qui touche à ce domaine-là, j’avais été chargé d’un mandat semblable au sein de la Commission interaméricaine des droits de l’homme à Washington. Comme vous le savez, j’ai été chargé de mettre en place la commission concernant les LGBT, je pense que c’est cette expérience qui a donné la confiance aux États de me confier ce mandat d’expert indépendant et je le suis depuis janvier 2018.


    Si l’on remarque des avancées dans la reconnaissance, le respect et la protection des personnes LGBTQ+ depuis plusieurs années, on constate aussi des reculs possibles comme en Hongrie, en Pologne, et même aux États-Unis.
    Il y a un contexte actuel de chiaoscuro (clair obscur), des énormes avancées et de vastes ombres. Il y a beaucoup de raisons par lesquelles on peut voir un progrès tout autour du monde concernant la lutte contre la discrimination et contre la violence dans un contexte difficile. Et mon mandat, c’est de faire un suivi dans des pays qui sont énormément avancées dans leur législation, mais aussi dans des pays où la négation et le déni complet continuent à être la règle. Nous avons donc d’énormes obstacles dans le domaine légal où 2 milliards de personnes continuent d’habiter dans des pays de criminalisation, c’est presque qu’un tiers de la population mondiale.


    Il y a encore 69 pays qui criminalisent l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Dans une bonne partie de ces pays-là, le déni complet est de mise. Les personnes LGBTQ+ n’existeraient pas dans ces pays selon les dires des représentants officiels. On peut le voir dans les déclarations du ministre de la justice de la Fédération de Russie, suite à la mobilisation internationale contre la répression des LGBTQ+ en Tchétchénie, qui déclarait qu’après avoir fait enquête, il n’y en avait pas. Un ministre d’un pays de plus de 30 millions d’habitants m’affirmaient qu’il ne devait pas avoir plus de 300 personnes qui appartenaient à la diversité sexuelle. Concernant le backlash, on peut voir beaucoup de forces qui essaient d’arrêter cette avancée des LGBTQ+ au service d’agendas obscurs et qui se fondent sur la défense d’un
    système binaire dans lequel des rôles particuliers seraient naturels selon la configuration génitale à la naissance et donc refusant le respect de la différence. Mais je suis convaincu que cet effet de ressac, de backlash auquel on assiste dans certains pays, est un combat d’arrière-garde à la défense d’un système qui se meurt. Ces pays-là jouent leurs dernières cartouches.


    Vous êtes amené à rencontrer de nombreux-ses représentant.es étranger.es, est-ce que dans les conversations formelles et informelles, pouvez-vous infléchir les positions des pays les plus fermés à la situation des personnes LGBTQ+.
    Absolument, c’est très important. Mon mandat m’oblige à maintenir un dialogue permanent avec tous les États en incluant les États qui n’ont pas soutenu ce mandat. Les espaces informels de rencontre, pas seulement lors des grandes rencontres internationales, sont essentiels. Au cours de mon mandat dans les trois dernières années j’ai eu au moins une cinquantaine de rencontres avec des représentants diplomatiques d’États qui étaient absolument contre la création du mandat. C’est grâce à cette structure de multilatéralisme que l’on peut parler avec celles et ceux qui défendent des points de vue contraires. On peut toucher l’humanité de chacun. Quand je voyage, je rencontre aussi bien des représentants des gouvernements que des organismes de la société civile mais aussi je rencontre toujours des représentants religieux. J’ai eu l’expérience extraordinaire d’avoir un dialogue avec le patriarche de l’Église orthodoxe géorgienne, le mufti de tous les musulmans de Géorgie, et un chef de la communauté juive de Géorgie. J’ai parlé à ces leaders religieux de ce pays et on a trouvé des points de départ qui étaient les mêmes. C’est important, quand on établit un dialogue si l’on a un point de départ commun solide pour arriver à une inclusion sociale plus harmonieuse. Je n’ai pas de lunettes roses, je concède qu’il y a une minorité de représentant.es qui promeuve l’exclusion, la discrimination, l’emprisonnement voire la peine de mort, et c’est très difficile de leur parler. Mais je ne désespère pas. Ce mandat d’expert indépendant est là pour rester au sein de l’ONU.


    Lors du renouvellement de ce mandat, quelques pays de l’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient et de la communauté des pays indépendants ont voté pour le renouvellement. Tous les pays membres de l’ONU ne peuvent plus faire comme si ces questions essentielles du respect et de la protection des personnes LGBTQ+ n’existaient pas.


    On sait que beaucoup considère l’ONU comme une grosse machine qui en fin de compte coûte beaucoup d’argent et ne sert à rien, en quoi pour vous cette structure a toujours sa place et son rôle?
    Je pense que premièrement, l’ONU s’inscrit comme une structure idéologique du multilatéralisme, comme une balance du pouvoir à un niveau international. Je me demande quel serait l’utilité de nier l’existence d’un espace d’égalité pour un grand nombre de pays qui sont asymétriques sur la question du pouvoir social, politique, culturel, économique et même militaire; et ne seraient jamais représentés et soumis à des pays plus puissants. Ils ont la possibilité comme tous les autres pays d’avoir un droit de vote dans toutes les décisions à prendre. C’est une grande conquête du monde d’après-guerre et je ne vois pas du tout l’intérêt de s’en passer.

    Deuxièmement le pilier fondamental de l’ONU reste la défense des droits humains avec la Déclaration des droits humains qui reconnaît le droit à toute personne de vivre en liberté et en égalité. Troisièmement, comme toute construction humaine, cette structure a des avantages, mais elle a aussi de nombreux défis à relever. C’est une grosse machine, mais qui est pour moi efficace. Ce que je vais dire n’est pas très élégant mais il faut le souligner parfois, mais parmi les 84 experts nommés, ainsi que le groupe de travail avec qui ils fonctionnent, que ce soit sur la torture, les femmes, les enfants, les aîné.es et bien d’autres dans un contexte mondial de discrimination et de violence, le font sur une base volontaire et ne sont pas rémunérés. Je tenais à le souligner.

    Enfin, je n’ai jamais entendu en 25 ans de carrière, des victimes des droits humains qui souhaitaient la disparition de l’ONU. Paradoxalement, ce sont des gens qui sont au pouvoir ou qui souhaitaient accéder au pouvoir qui, par des discours populistes, critiquent l’utilité de l’ONU.


    Il ne faut pas oublier la situation des réfugié.es LGBTQ dans un contexte de grandes
    migrations. Quel est votre pouvoir dans ce domaine?

    Selon les chiffres du Haut-commissariat aux réfugiés, on compterait 75 millions de réfugié.es à travers le monde, que ce soient des réfugiés internes, déplacés dans le pays, ou externes, ou encore celles et ceux dans des camps de réfugié.es. Si l’on considère que ce sont entre 5 et 10% d’entre eux qui appartiennent aux minorités sexuelles, il y aurait entre 3 à 7 millions de personnes LGBTQ qui feraient partie des réfugié.es à travers le monde. C’est énorme!
    Je vois la situation d’un.e réfugiée comme un très long voyage, aussi bien celles et ceux qui sont arrivé.es dans un pays d’accueil, accepté.es ou non, que celles et ceux en mouvement vers d’autres pays, que celles et ceux dans les camps, ou déplacé.es dans leur propre pays. Les personnes LGBTQ+ tout au long de ce voyage vont être confrontées à des violences de toutes sortes. Des violences inouïes, que l’on peut difficilement imaginer. Que l’on pense au triangle du Nord de l’Amérique centrale, où les personnes trans, lesbiennes, et même gaies sont violées et qui arrivent dans des pays qui ont de la difficulté à reconnaître la violence qu’elles ont subi. Il en va de même dans les camps. Je pense aussi à leur vie au quotidien, comme dans le camp de Kakuma au Kenya qui comptent 60 000 habitants, où la majorité des personnes qui sont là reproduisent les normes de leurs pays quant à l’orientation sexuelle et l’identité de genre. On peut imaginer à quel degré de discrimination et de violence sont soumises les personnes LGBTQ+ qui s’y trouvent.

    Il faut ajouter que les pays qui acceptent des réfugié.es LGBTQ+ d’une part demandent à que ces dernier.es fassent la preuve de leur homosexualité ou de leur identité de genre, Les autorités de l’immigration évaluent les dossiers en fonction de perceptions occidentales des LGBTQ+ alors que les frontières sur l’expression de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. Comme ce scandale en Grande-Bretagne, il y a 5 ans. Un questionnaire devait faciliter l’évaluation de l’homosexualité de demandeur du statut de réfugié. On demandait dans ce questionnaire de citer trois chansons de Kylie Minogue. Et bien évidemment, de nombreux gais africains ne connaissaient pas la chanteuse et avaient été considérés comme mentant sur leur orientation sexuelle. Moi, je m’intéresse et travaille sur toute la chaîne du voyage d’une ou d’un réfugié.e LGBTQ+, ce voyage long, pénible, avec des niveaux de violences insupportables, et c’est aussi mon rôle de travailler avec tous les pays pour changer leurs conditions, leur offrir protection, respect, et aide.


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