Depuis la couverture de novembre de Fugues (la première couverture de magazine consacrée à la série qui n’était alors pas encore connue) puis sa première diffusion, Heated Rivalry n’a cessé de faire parler d’elle. Au départ, les discussions se cristallisaient autour de ses scènes de sexe explicites — chaudes, toujours assumées — et autour de certaines déclarations flamboyantes des vedettes en entrevue. Bref, la série semblait destinée à devenir un objet viral, facile à consommer. Puis, semaine après semaine, épisode après épisode, elle a réussit quelque chose de rarissime : elle a prouvé qu’elle était bien plus que ça.
⚠️ Attention : divulgâcheurs pour l’épisode 6 de Heated Rivalry ⚠️
Oui, Heated Rivalry est construite sur une base de désir incandescent, de tension sexuelle qui s’accumule comme une ligne électrique sous la glace, et de scènes érotiques d’une intensité presque troublante. Mais ce serait une erreur — et une paresse — de réduire la série à cette dimension. Car à partir de l’épisode 3, et encore davantage dans les épisodes 4 et 5, le réalisateur Jacob Tierney a carrément fait place à quelque chose de plus brut, de plus vulnérable : une histoire d’amour queer racontée avec gravité, parfois avec une douleur étonnamment réaliste.
Résultat : non seulement l’épisode 5 a été le mieux coté de la saison, mais il a obtenu un 10/10 parfait sur IMDb, un score qu’on n’avait pas vu depuis l’épisode mythique « Ozymandias » de Breaking Bad, il y a douze ans. Un signe, sans doute, que quelque chose se passe ici : Heated Rivalry est en train de devenir un phénomène émotionnel, pas seulement un phénomène de télévision torride.
Et voilà que l’épisode 6 arrive, et réussit l’impossible : retrouver la chaleur, retrouver le corps, sans perdre l’âme. L’épisode « The Cottage » n’est pas une simple parenthèse romantique. C’est un épisode qui comprend profondément ce dont les récits queer ont besoin : du conflit, oui, mais aussi de la douceur. De l’intensité, oui, mais aussi de la sécurité. De l’érotisme, oui, mais aussi de l’appartenance.

Un épilogue pour Scott et Kip… et un miroir tendu à Shane et Ilya
L’épisode s’ouvre sur un geste élégant : donner une conclusion (ou du moins un apaisement) à l’histoire de Scott et Kip. Scott prononce un discours aux prix de la MLH qui a la force des grandes scènes de coming out dans les récits sportifs. C’est un moment de fiction, évidemment — mais il est écrit et joué par François Arnaud comme une adresse directe au public.
Quand Scott dit : « Je suis peut-être la chose que certains joueurs lancent encore comme insulte », il ne fait pas que dénoncer l’homophobie persistante. Il met aussi en lumière le paradoxe du coming out : ce n’est pas un acte héroïque qui efface le danger, c’est une décision qui expose davantage, qui fait apparaître le risque au grand jour.
Le discours devient alors un passage de relais narratif. Scott et Kip ont ouvert une porte, mais derrière cette porte se trouvent encore des couloirs sombres — et Shane et Ilya le savent. Leur situation est même, à certains égards, plus complexe : leur carrière a été construite sur une rivalité publique, un antagonisme devenu marque de commerce. Deux hommes qui ont fait de la confrontation une performance, et qui découvrent qu’ils doivent maintenant apprendre à faire de l’amour une vérité.
La série ne s’attarde pas à expliquer pourquoi « c’est difficile » dans un contexte de hockey professionnel. Elle n’en a pas besoin. Le public le comprend déjà. Et même celles et ceux qui connaissent moins l’univers de la LNH peuvent deviner l’essentiel : ce milieu fonctionne encore sur des codes virils, sur une camaraderie qui peut être cruelle, sur une obsession de la force, sur une peur constante d’être perçu comme « différent ».
Le discours de Scott agit donc comme un écho : la peur est puissante, mais l’amour l’est davantage. Il l’a compris. Maintenant, c’est au tour de Shane et d’Ilya.

« J’aimerais relaxer avec toi » : le début d’une intimité enfin possible
Le premier trajet en voiture, presque anodin, est en réalité un moment essentiel. La caméra n’a même pas besoin de nous donner des gros plans sur leurs visages : tout passe par la posture, la respiration, le silence. Hudson Williams et Connor Storrie y sont remarquables.
Depuis qu’il a accepté ses sentiments, Shane n’a jamais été aussi ouvert. Il est encore terrifié par le regard du monde, oui, mais il n’a plus peur de l’intimité entre eux. Il peut la nommer, la désirer, la défendre. Ilya, lui, est paradoxalement plus inquiet. Il a toujours été plus téméraire face au monde — malgré le fait qu’il ait objectivement plus à perdre — mais ce qu’ils sont en train de faire est différent. Cette fois, ce n’est pas un hôtel, une nuit volée, une pulsion. Cette fois, c’est un choix.
Deux semaines au chalet : pour eux, c’est une tentative inédite. Une chance de faire quelque chose qu’ils n’ont jamais pu faire auparavant : être ensemble sans se cacher dans l’instant, être ensemble dans le quotidien. Apprendre les petites habitudes, les manies, les silences. Les goûts et les irritants. Apprendre à partager un espace sans avoir à repartir aussitôt.
Parce que c’est ça, une relation réelle : pas seulement les moments grandioses, pas seulement la chimie physique, mais la façon de vivre dans la même pièce, dans le même rythme. Et ce que l’épisode montre avec intelligence, c’est que ce geste-là — vouloir apprendre — est déjà une déclaration.
Avant même de dire « je t’aime », ils s’installent dans ce qui pourrait devenir leur relation.
La terreur n’est pas seulement extérieure : c’est aussi la peur que l’amour ne soit pas égal
Évidemment, il y a les inquiétudes pratiques : et s’ils sont vus? Et si quelqu’un apprend qu’ils passent du temps ensemble? Comment la ligue réagira? Les équipes? Les fans? Scott Hunter a eu de la chance : il venait de gagner la coupe, et son chum n’était pas dans le hockey. Personne ne pouvait prétendre que Kip lui « volait » son attention ou sabotait sa performance. Shane et Ilya, eux, risquent un autre type d’accusation : celle de fausser leur rivalité, de mentir à leurs partisans depuis des années, de tricher avec l’image qu’ils ont vendue.
Mais l’épisode comprend quelque chose de plus intime : le vrai vertige au début n’est pas seulement la peur du monde. C’est la peur que ce geste-là — ce chalet, cette tentative — ne signifie pas la même chose pour les deux. La peur que l’amour soit asymétrique. La peur d’être plus investi. La peur de se rendre vulnérable et de découvrir que l’autre ne tombera pas. Shane a peur. Ilya a peur. Mais ils y vont pareil.
Et c’est là que « The Cottage » devient un épisode profondément touchant : il ne se contente pas de dire « ils s’aiment ». Il montre ce que ça coûte, ce que ça exige, ce que ça demande en courage.

L’honnêteté comme contrat amoureux (et comme rupture avec leur passé)
Le tournant officiel de leur séjour se fait quand Shane propose un pacte : pendant deux semaines, ils seront honnêtes. Ça sonne simple, mais pour eux, c’est radical.
Leur relation a longtemps reposé sur le déni plausible, sur les non-dits, sur l’ambiguïté. Sur l’idée que tant qu’on ne dit rien, on ne doit rien.
Ilya, fidèle à lui-même, commence en premier : il avoue qu’il n’a été avec personne depuis la dernière fois qu’ils se sont vus. Ça pourrait sembler banal. Mais pour deux hommes qui se qualifiaient eux-mêmes de « plans de cul », c’est énorme. Ce n’est pas une promesse, mais c’est une confession. Une preuve que quelque chose s’est déplacé.
Parce qu’après leur dernière rencontre — où tant de choses ont été dites sans être dites — ils ne pouvaient plus retourner à « avant ». Continuer comme si ce n’était qu’un arrangement aurait eu le goût d’une trahison.

Les parents : quand le futur commence à exister
Deux conversations sur les parents suffisent à nous faire comprendre à quel point ils sont rendus loin. Shane parle de Yuna et David comme on parle à un chum qu’on aimerait présenter à sa famille. Même si, dans leur tête, ça semble impossible, le ton est déjà celui d’un couple. Et Shane réalise quelque chose — ou plutôt, on le voit le réaliser : il ne peut pas faire son coming out sans avouer qu’il aime Ilya. Les deux vérités sont désormais indissociables. Pour lui, dire « je suis gai » revient à dire « je suis amoureux de lui ». Alors il ne dit rien, parce que dire tout ça d’un coup, c’est trop. Ilya, de son côté, parle de sa mère Irina dans un moment d’une délicatesse presque silencieuse. Connor Storrie réussit un petit miracle : faire passer la douleur, l’amour, l’absence, le manque, avec une économie de mots. Il suffit de son regard, de sa respiration, d’une phrase.
Ces deux acteurs jouent constamment au niveau du sous-texte, et c’est là que la série devient brillante. Leur jeu n’est pas « grand ». Il est contenu. Et c’est précisément ce qui fait mal — et ce qui fait du bien.

« I have this problem… » : le moment où Ilya se déclare, mais où Shane se révèle
La grande déclaration d’Ilya est sans contredit l’une des scènes les plus fortes de l’épisode. Il explique qu’il aime les femmes, que les femmes l’aiment, mais qu’il ne peut pas s’empêcher de penser à «ce joueur lent, avec des taches de rousseur magnifiques et un revers un peu faible»: Shane.
Hudson Williams traverse un véritable tsunami émotionnel en quelques secondes : la peur, le désir, la douleur, l’émerveillement, et cette détermination qui naît quand on comprend qu’on n’a plus envie de fuir. Il ne pleure pas vraiment. Ses yeux se mouillent, il se brise sans se casser. Et c’est encore plus bouleversant. Williams est exceptionnel depuis le début de la série — et il faut le dire : Shane est un personnage difficile à jouer. Le risque, avec un personnage neurodivergent, est souvent de tomber dans le cliché ou dans une performance « démonstrative à la Rainman». Ici, Shane est crédible, attachant, parfois maladroit, souvent lumineux. On comprend pourquoi Ilya l’aime.

L’amour, dit deux fois, comme un saut dans le vide
Le « je t’aime » arrive comme une conséquence logique, et pourtant il nous surprend par sa force. Ilya le dit d’abord en russe — réflexe, instinct, aveu incontrôlé. Puis il le répète en anglais, en regardant Shane dans les yeux. Cette répétition n’est pas une simple traduction. C’est un choix. C’est un geste conscient. Parce que ces mots-là sont plus grands que le chalet. Plus grands que leur plan de « devenir amis en public ». Plus grands que leur rivalité. Pour quelqu’un comme Ilya, qui n’a jamais eu une histoire d’amour à lui, dire « je t’aime » n’est pas romantique. C’est un acte de foi.
Et Shane répond. Mais surtout, Shane reconnaît à quel point c’est fou. Et c’est là qu’Ilya peut enfin se laisser aller : pleurer, respirer, réaliser que cette fois-ci, il a sauté et quelqu’un était là pour le rattraper. Ils savent, eux-mêmes, qu’il y a des chemins plus faciles. Ils l’admettent. Mais ils sont trop loin maintenant. Le retour en arrière n’existe plus.
Et l’épisode prépare déjà l’étape suivante : oui, la fin de saison ressemble à une fin heureuse… mais c’est une fin heureuse pour maintenant. Un « happy for now ». Parce que la réalité finira par entrer dans leur histoire. Les médias. La ligue. Les supporters. Les commanditaires. Les vestiaires. Les rumeurs.
Mais Heated Rivalry fait un choix narratif très prometteur : le conflit ne sera plus « est-ce qu’ils s’aiment? ». Le conflit sera : comment aimer dans le monde tel qu’il est?

C’est à ce moment que «e pire scénario» (dans la tête de Shane) arrive : son père les surprend au chalet. Shane panique. Tout son corps se referme. La honte, la peur, le sentiment d’avoir menti pendant des années. Tout remonte. Et pourtant, ce qu’il reçoit, c’est la douceur. Ilya est là, le soutient.
Ce moment est d’une tendresse inouï. Parce qu’on réalise qu’on n’a jamais vu Shane et Ilya comme ça. On les a vus passionnés. On les a vus se chercher. On les a vus se fuir. Mais là, on les voit amoureux. Domestiques, presque. Comme si soudainement, ils étaient en train de devenir ce qu’ils auraient dû être depuis longtemps : une maison l’un pour l’autre.

« Mais tu le détestes! » : quand la vraie difficulté du coming out n’est pas l’homosexualité, mais le mensonge public
La scène avec les parents de Shane — Yuna et David — ajoute une dimension savoureuse et très juste : la difficulté n’est pas seulement qu’ils soient deux hommes. C’est qu’ils ont joué la confrontation devant tout le monde pendant des années. Ils ont performé une rivalité à un niveau tellement convaincant que même les parents de Shane y ont cru. Alors, comment expliquer ça? Comment expliquer qu’ils ont été ensemble depuis si longtemps? Comment expliquer qu’ils ont menti à tout le monde — y compris à ceux qu’ils aiment le plus?
Et pourtant, Yuna et David ne sont pas la menace. Ils sont surpris et veulent comprendre. Et surtout, ils veulent savoir si Ilya est une mauvaise idée ou la meilleure.
Ilya, lui, répond avec une sincérité désarmante : il a été avec beaucoup de femmes, oui, mais il n’a été amoureux que d’une seule personne. Shane. Il n’essaie pas de charmer. Il n’essaie pas de convaincre. Il dit la vérité.
La série ajoute ensuite un moment précieux entre Shane et sa mère. Yuna, qui a parfois semblé plus « gestionnaire » que maternelle, prend le temps de s’interroger : qu’est-ce qu’elle a fait — ou pas fait — pour que son fils ne se sente pas capable de lui parler? Elle s’excuse. Sans se mettre au centre. Sans transformer ça en « moi, moi, moi ».
Et elle lui dit ce qu’il avait besoin d’entendre : qu’elle est fière de lui. Pas pour ses contrats. Pas pour ses performances. Pour lui, comme personne.
Puis, fidèle à son caractère, elle devient immédiatement une alliée stratégique : si Shane et Ilya ont un problème — et ils en ont un — elle veut savoir ce qu’elle peut faire pour les aider. Parce qu’elle va se battre pour eux.
C’est un magnifique renversement : cette mère qu’on croyait froide devient un pilier et sera un refuge. Un agrandissement de la bulle, de l’espace de sécurité.

« You’re good here » : l’anxiété n’écoute pas la logique, mais elle écoute la présence
Après l’intensité émotionnelle, Shane fait une crise de panique. Qui peut le blâmer? Il vient de survivre à son pire scénario, mais il sait aussi que le monde ne sera pas toujours aussi doux que ses parents. Et encore une fois, Ilya répond parfaitement. Il reconnaît les signes, il le ground, il le touche, il lui parle doucement. Il ne cherche pas à « réparer ». Il cherche à accompagner. Et ce détail est important : ce n’est pas juste de l’instinct. C’est la preuve qu’Ilya connaît Shane. Qu’il le voit. Qu’il l’aime assez pour apprendre ses mécanismes et l’aider à se sentir en sécurité.
Avec « The Cottage » Heated Rivalry réussit quelque chose de rare en fiction queer : elle offre de la joie queer sans naïveté. Elle offre de la douceur sans nier le danger. Elle offre du confort tout en reconnaissant le réel. Et il faut se le dire : on a peu de récits queer qui réussissent ça. Trop souvent, on nous donne soit la tragédie, soit la comédie, soit le trauma. Ici, on nous donne quelque chose de presque révolutionnaire dans sa simplicité : une relation queer qui évolue. Oui, il y aura des obstacles. Oui, le monde va s’en mêler. Oui, ce n’est pas une liberté totale. Mais pour l’instant, Shane et Ilya se choisissent. Ils se disent les mots. Ils respirent. Ils se permettent un futur.
Et c’est pour ça qu’on va revoir cette saison en boucle (en attendant la seconde saison qui sera tournée en 2026). Parce que ce n’est pas « juste du sexe ». Ça ne l’a jamais été. C’est du réconfort. Et on en manque, en culture queer.
INFOS | Heated Rivalry (épisodes 1 à 6) est disponible sur Crave.

