Mercredi, 12 février 2025
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    Julie et Anne-Gaëlle

    Habitant à Montréal, Julie et Anne-Gaëlle sont en couple depuis 17 ans. L’une est originaire de France, l’autre du Québec, née de parents français. Ensemble, elles ont eu deux jeunes filles, Alexie et Maëlle, respectivement 6 et 8 ans. En cette période de la Saint-Valentin, elles nous racontent leur aventure amoureuse qui perdure depuis.

    La rencontre
    « Nous nous sommes rencontrées sur le site Gay Vox, où il y avait plein d’hommes », explique d’entrée de jeu Julie : « J’avais parlé à Anne-Gaëlle, mais elle ne voulait pas me parler, puisqu’en fin de relation avec une autre fille, assez caractérielle… », « qui lit peut-être Fugues », ajoute à la blague Anne-Gaëlle. Après une rencontre au Drugstore, supervisée par les amis respectifs des deux femmes, qui les attendaient au Saint-Élisabeth, les groupes se conjuguent et les deux femmes finissent la soirée ensemble, entourées de leurs amis.

    « J’ai dormi chez elle (chez ses parents) le soir même, donc le lendemain, après une grosse cuite, j’ai croisé son père, en caleçons ! » La présentation à la famille était faite. Peut-être pas dans les meilleures circonstances, mais cela n’a pas empêché la relation de durer.

    Le secret de la longévité
    À l’aube de célébrer leur 18e anniversaire de relation, Julie y va d’un conseil simple : « Tout passe, faut laisser aller, ce sont des cycles, certains sont plus harmonieux que d’autres. Nous sommes quatre filles à la maison, il y en a des états d’âme. Dans la culture populaire, on nous présente les couples d’une certaine façon, mais le secret de la longévité c’est de savoir qu’il y a la réalité et la fiction. Il y en a des crises dans les couples, mais il faut se rattacher aux bons moments et aux épreuves surmontées. Il y a des remises en question ; c’est déjà dur de vivre avec soi, donc à deux ça prend de la communication, du respect, mais aussi du silence, tout n’est pas obligé d’être adressé. Parfois, on a des choses personnelles à vivre. » Quant à Anne-Gaëlle, elle ajoute que le secret de la longévité est la patience et « tenter de casser la routine ».

    Les enfants
    « Pour mes 30 ans, je désirais un enfant », explique Anne-Gaëlle. « Avant je suis retournée finir ma maîtrise, ça m’a permis de gagner du temps, car Julie alors âgée de 26 ans était moins motivée. » Ainsi, les deux femmes prennent un chat (Mimi a aujourd’hui 13 ans), avant de se lancer dans l’aventure. Le temps venu, « ç’a été compliqué », explique Julie, car « au début ça ne fonctionnait pas ». Anne-Gaëlle désirait porter le bébé et donc finalement les jeunes femmes se sont tournées vers l’insémination, auprès d’une banque de donneurs nord-américains, afin d’avoir un open ID.

    « J’avais travaillé avec les enfants en pédiatrie sociale et le manque de savoirs sur les origines du parent est quelque chose qui m’avait marquée. Je trouvais important que l’enfant puisse savoir et même contacter le donneur dans l’éventualité », confie Julie. Après avoir regardé une sorte de catalogue IKEA, avec photos et activités professionnelles des donneurs, les deux femmes ont choisi selon leurs idéaux et valeurs des hommes qui ressemblaient physiquement à Julie, puisqu’elle ne portait pas l’enfant. Après plusieurs inséminations ratées (à approximativement 1 000 $ la dose), la scène romantique de The L Word était bien loin dans la mémoire des jeunes femmes. Anne-Gaëlle ne voulait pas arrêter de tenter le coup, « c’était viscéral ! » Plus de 7 000 $ plus tard, comme tout passe, rappelle Julie et « parce que nous nous sommes quittées brièvement durant le processus », Maëlle est née. La preuve que tout est éphémère, même les difficultés ? Les jeunes femmes ont refait le processus et près de deux ans plus tard, Alexie est née (à la première dose !).

    Les préjugés
    Avoir une famille lesboparentale peut mener à vivre des préjugés. « À aucun moment je me suis sentie comme une famille différente », exprime d’abord Anne-Gaëlle, « sauf dans une garderie dans un milieu familial, avec une éducatrice aux mœurs et cultures différentes ». Cela dit, elles sont présentes, jeunes, confiantes et impliquées. « C’est certain que quand on sort en public, on ne s’expose pas, on n’arrive pas à l’école en se tenant par la main, on ne s’embrasse pas en public », ajoute Julie. Néanmoins, il y en a eu des situations, se rappelle-t-elle : « Une fois, dans un souper d’amis, lorsque Maëlle vivait des enjeux avec un garçon à l’école, on nous avait dit qu’on devrait demander à un homme d’intervenir auprès de l’enfant.

    J’avais trouvé ça blessant de se faire dire qu’on ne pouvait pas défendre notre fille parce qu’elle était avec deux mamans et que ça lui prenait un modèle masculin. » Selon Anne-Gaëlle, les enfants ne font pas la différence, ce sont plutôt les adultes. D’ailleurs, Alexie et Maëlle sont conscientes de la chance d’avoir deux mamans. Lorsque Maëlle entre dans la pièce où se déroule l’entrevue, elle nous confie : Je suis contente d’avoir deux mamans, mais les autres ne comprennent pas tout le temps… et je sais pas toujours comment trop l’expliquer »

    L’avenir
    Bien que l’on doive vivre le moment présent, se questionner sur l’avenir est inévitable. Être deux femmes qui élèvent deux filles dans une société patriarcale et de plus en plus misogyne génère des questionnements quant à l’avenir. « Bien que notre famille suive une normalité hétérosexuelle, car nous avons besoin du sperme », explique Anne-Gaëlle, « nous sommes tout de même une lutte au patriarcat », ajoute Julie, « car on déconstruit la famille hétéronormative et on remet en question les rôles, les mœurs, les coutumes. » Avec cette perception différente de la famille, les deux femmes et leurs filles s’exposent différemment socialement. Elles ne cachent pas le fait d’être privilégiées, puisque bien entourées et bien nanties, mais élever deux filles en ce monde peut être insécurisant. Si Anne-Gaëlle est bibliothécaire dans un cégep, Julie est quant à elle directrice de la Coalition féministe contre la violence envers les femmes. Lorsqu’on leur demande si ça leur fait peur d’élever deux filles dans le monde d’aujourd’hui, leurs réponses sont sensiblement similaires : « Plus ou moins, car je vis aux côtés de Julie qui raconte des horreurs tous les jours.», répond Anne-Gaëlle.

    Avoir des enfants tout court, dans le monde moderne, ça fait un peu peur… mais j’ai la responsabilité de faire des femmes fortes, qui savent se défendre, j’ai confiance en l’éducation qu’on leur donne. » Et Julie de poursuivre : « On veut outiller nos filles, mais elles n’ont pas la responsabilité de se faire agresser, elle incombe seulement à l’agresseur. Mais c’est sûr qu’on va les outiller pour qu’elles aient confiance en elles pour obtenir de bons emplois et revendiquer leurs droits lorsqu’elles en auront besoin. Pour moi, la situation aujourd’hui en lien avec le déclin des droits des femmes à travers le monde (les femmes afghanes, les féminicides, le mouvement trad fem aux États-Unis), ça m’alarme beaucoup et socialement on doit se réveiller. » Enfin, les deux femmes s’accordent pour dire qu’elles doivent avoir confiance en leurs enfants et dans l’avenir. Et Julie de conclure : « À l’époque, nous, on avait peur de se rencontrer sur Internet, car on n’avait pas de pagette et regarde où ça nous a menées ! » Près de 18 ans plus tard, le jeu en valait la chandelle.

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