Dimanche, 28 Décembre 2025
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    Peter Hujar’s Day : le quotidien transformé en œuvre d’art

    Né et élevé à Memphis, Ira Sachs poursuit depuis près de trente ans une carrière singulière au sein du cinéma d’auteur américain. Cinéaste délicat et rigoureux, il a signé des films intimistes portés par des scénarios d’une grande finesse, attirant au fil des années des interprètes prestigieux. Après The Delta (que j’ai eu le bonheur de programmer pour l’édition 1998 du festival image+nation), Sachs s’est ancré à New York, où il vit depuis la majeure partie de sa vie adulte. C’est là qu’il situe Peter Hujar’s Day, son neuvième long métrage — et l’un de ses plus épurés.


    Huis clos minimaliste, Peter Hujar’s Day repose sur une idée aussi simple que vertigineuse : reconstituer, presque sans artifice, une conversation enregistrée le 19 décembre 1974 entre la romancière Linda Rosenkrantz et son ami, le photographe Peter Hujar. Ce jour-là, Rosenkrantz demande à Hujar de lui raconter, minute par minute, tout ce qu’il a fait la veille, du réveil au coucher. De cet exercice de mémoire naît un récit fragmenté, intime et profondément incarné, que Sachs choisit de ne pas dramatiser, mais de rejouer tel quel — comme un acte de présence.

    Le film marque les retrouvailles du réalisateur avec Ben Whishaw, déjà remarquable dans Passages (2023). Whishaw prête ici à Hujar une grâce troublante, mêlant mélancolie, intelligence vive et vulnérabilité contenue. Son jeu, tout en retenue, capte l’essence d’un artiste à la fois lucide et inquiet, traversé par le doute, mais profondément engagé dans son regard sur le monde. 

    Bien que méconnu, Hujar était un p hotographe majeur de son époque, reconnu aujourd’hui comme l’un des grands maîtres du noir et blanc, notamment pour son travail sur la scène gaie new-yorkaise et le milieu bohème du downtown Manhattan des années 1970 et 1980. Mort en 1987, à 53 ans, des suites du sida, il n’aura connu qu’une reconnaissance limitée de son vivant.

    Face à Whishaw, Rebecca Hall incarne Linda Rosenkrantz avec une sobriété chaleureuse. Leur échange se déploie dans l’appartement de cette dernière, unique décor du film. Ils se déplacent, font du café, boivent du thé, mangent des biscuits, s’allongent sur le lit, sortent un instant à l’extérieur. La lumière évolue, les vêtements changent, le temps glisse. Sachs filme ces micro-variations avec une attention presque tactile : un rayon de soleil qui frappe un visage, la douceur d’une fin d’après-midi, la proximité des corps. Autant de détails sensoriels qui transforment ce qui pourrait sembler anodin en expérience universelle.

    Plutôt que de montrer les événements évoqués — une séance photo tendue avec Allen Ginsberg, une conversation avec Susan Sontag, des mentions furtives de Susan Sontag, William Burroughs, Fran Lebovitz ou Lauren Hutton —, le cinéaste choisit de les laisser exister uniquement par la parole. Le résultat est paradoxalement très riches émotionnellement. En 76 minutes, Peter Hujar’s Day réussit à dilater le temps, à lui donner une texture, une respiration. 

    Cette économie de moyens n’est pas un repli, mais un geste esthétique affirmé. Comme dans ses œuvres précédentes, Sachs revendique une filiation avec le cinéma de Bresson, Ozu ou Fassbinder, préférant l’observation patiente à l’esbroufe narrative. Ici, il signe une méditation quasi joycienne sur la mémoire, la création et la fragilité des mondes artistiques, emportés par l’histoire et les épidémies.

    On ne peut que saluer la beauté formelle du film et sa douceur mélancolique. Peter Hujar’s Day est un de ces films qui « trouvent du sens dans le banal, à la fois tendre, drôle, languide et profondément humain. Plus que la reconstitution d’une simple journée, il s’agit d’un cliché très réaliste d’un écosystème culturel disparu, fauché par la crise du sida et la gentrification.

    Œuvre modeste en apparence, Peter Hujar’s Day est en réalité un film qui a l’ambition de faire du temps lui-même un matériau cinématographique. C’est un film qui s’écoute, qui se regarde et qui laisse une impression durable, comme le souvenir d’une conversation qui, longtemps après, continue de résonner.

    INFOS | Peter Hujar’s Day sortie limitée en décembre en salles

    Pour en savoir un plus sur Peter Hujar, voici l’article que j’ai écrit sur l’exposition présentée à l’été 2024 à Venise.

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