Café indépendant dans le Village. J’attends un ami. À la table voisine, deux jeunes dans la mi-vingtaine qui visiblement ne se sont pas vus depuis longtemps rattrappent le temps perdu. Ils discutent entre autre de leur engagement bénévole dans des organismes communautaires LGBTQ2S+. Ils abordent les relations peu éviden-tes selon eux avec des «vieux militants». Chacun, en fonction de sa propre expérience tente de théoriser sur les fractures qui surgiraient entre les générations les éloignant l’une de l’autre. Le vécu, les contextes sociaux dans lesquels les plus âgés auraient évolué versus ceux dans lesquels les jeunes vivraient aujourd’hui.
Attention, il n’y avait aucun propos diffamant sur les «vieux gais», ni même d’ironie, mais une forme d’incompréhension dont on sentait dans leurs propos que c’étaient les vieux gais qui portaient la responsabilité de cet état de fait.
Bien sûr, à couper le gâteau avec une tronçonneuse électrique, on ne fait pas forcément dans la dentelle. Les clichés, les a prioris ont très vite été mis à contribution pour construire les argumentaires de chacun des deux gais. Auxquels se sont ajoutés des exemples emblématiques dont ils avaient été témoins.
J’insiste, aucun propos méprisant dans la bouche des deux gars et même un soupçon de déception de ne pouvoir véritablement être en phase avec les plus anciens.
Jouons aussi de la tronçonneuse. En gros, les reproches émis contre les vieux gais étaient qu’ils ressassaient les temps moins cléments pour l’homosexualité, leurs combats pour les changements sociaux et légaux, et que les jeunes étaient insouciants de cette histoire, bref, que tout leur était servi sur un plateau. En somme que les vieux gais racontaient leurs guerres comme d’anciens combattants sans oublier leurs blessures. Et qu’ils attendaient une reconnaissance presque éternelle de la part des plus jeunes.
Pas faux, aurais-je envie de dire. Je connais aussi quelques vieux gais qui se désolent que la jeunesse ne soit pas aussi consciente du parcours et des embuches qu’ont vécues les plus anciens. Je crois entendre mes grands-parents qui avaient vécu deux guerres et qui avaient souvent ce commentaire devant leur incompréhension face aux jeunes : il leur faudrait une bonne guerre.
Tous les vieux ne sont pas à mettre dans le même sac évidemment. Comme tous les jeunes. Bien sûr, je pourrais tirer à boulets rouges sur les jeunes gais qui n’ont pas de regard historique. Mais sont-ils majoritaires ? Les exemples de jeunes que j’ai en tête sont-ils représentatifs ? Pas sûr. Je pourrais multiplier les réflexions désobligeantes de la part de vieux gais sur des jeunes, j’en ai entendu bien évidemment. Mais je ne pourrais jamais en faire une généralisation.
Dans le politiquement correct ambiant, on s’en tient à cloisonner les générations en fonction des mentalités façonnées par des histoires qui sont différentes. On oublie, ou l’on ne veut pas en parler, que de nombreux aînés vivent dans la nostalgie d’une époque où ils avaient une valeur sexuelle dans le milieu gai. Je me souviens d’un ami approchant la cinquantaine, me disant avec humour : «Quand j’avais 20 ans et que j’allais dans un bar, je râlais quand des gars beaucoup plus âgés me regardaient comme de la char fraîche. Aujourd’hui, à 50 ans, plus personne ne me remarque, et je râle tout autant!».
En somme, qu’en vieillissant on devient invisible. Mais invisible pour qui? Pour les plus jeunes? Enlevons-nous le voile, avec ou sans loi 21, il réside un tabou dont on n’ose pas trop parler. Les aînés gais sont aussi des êtres désirants – à défaut d’être désirés – mais l’objet de leur désir ne repose pas sur une attirance pour leurs pairs, mais bien pour des plus jeunes (Avant de me jeter des tomates et de m’insulter, je sais que je généralise, je connais aussi des couples qui se sont formés alors que les deux appro-chaient de la soixantaine), mais si l’on en croit des jeunes, le regard parfois insistant d’aînés les met mal à l’aise tout comme certains comportements ou réflexions inappropriées.
Dans ces incompréhensions, on se rend bien compte que tout est question d’apparence et d’attitude. En somme que les vieux doivent taire leurs désirs, qu’ils sont par leur apparence discrédités. On pourrait aussi leur demander de n’avoir de relations sexuelles d’une nuit ou d’une vie que dans leur classe d’âge.
De même pour les plus jeunes, de ne pas être toujours arc-boutés sur l’apparence ou sur une conformité sociale un peu sclérosée sur la jeunesse en forme. Bref, de briser les frontières.
En somme de faire preuve d’ouverture face à l’Autre indépendamment de son âge et peut- être se rendrait-on compte que les vieux ne vivent pas que dans le passé, que les jeunes ne sont pas superficiels et ignorant des réalités LGBTQI2S+, et que des amitiés pourraient naître créant ainsi un pont entre les générations. Et pourquoi pas : Plus si affinités. Une bonne façon de s’affranchir des normes.