L’auteur Serge Fisette a réalisé un titanesque travail de recherches historiques et de vulgarisation pour rejoindre le grand public, en écrivant L’homosexualité masculine au Québec : De la Nouvelle-France à nos jours. Un ouvrage qui retrace près de 400 ans de présence homosexuelle dans les sphères privée, politique, culturelle et sociale.
«Ce n’est pas parce qu’on n’en parlait pas que ça n’existait pas» : cette phrase tirée du livre est on ne peut révélatrice des conditions de vie des homosexuels entre l’époque de la colonisation et le 20e siècle. «Pendant longtemps, sans nier la chose, les gens connaissaient peu l’homosexualité. C’est souvent par ignorance qu’on fait du déni. Plus on est au courant et plus on comprend une situation, plus on a de chance de l’accepter», explique l’auteur.

En fouillant les documents de recherches et d’archives sur l’homosexualité, Serge Fisette a réalisé que bien des universitaires avaient rédigé des mémoires de maitrise ou des thèses de doctorat sur des sujets très nichés à propos de l’homosexualité, mais sans offrir un panorama général de la situation. Il a donc choisi d’y remédier personnellement. «Je crois que c’est à nous, les gens plus âgés, de retracer l’Histoire. Sinon, elle risque de tomber dans l’oubli. En vieillissant, je réalise que l’Histoire prend de plus en plus de place dans ma vie. Comme une sorte de devoir de mémoire qui s’impose au fil des années.»
Sachant à quel point il voulait ratisser large, l’auteur a choisi de se concentrer d’emblée sur l’homosexualité au masculin. « C’est la seule que je connais! Déjà que d’explorer tout l’univers des hommes gais était considérable, je ne voulais pas m’embarquer dans un secteur qui m’est inconnu. Ça aurait probablement donné un livre trop gros et moins intéressant. Je vais laisser l’histoire de l’homosexualité au féminin à une femme. »
Bien plus qu’une énumération des luttes et des victoires menant à l’émancipation des homosexuels, son livre porte un regard en profondeur sur quatre siècles d’Histoire, afin de mettre en lumière le chemin parcouru entre la clandestinité et l’affirmation. Dans le chapitre consacré aux années 1648 à 1899, on apprend que certains bois étaient fermés aux célibataires par les autorités, puisque ces lieux étaient trop propices à la débauche. On découvre que tout mâle en âge de se marier devait le faire dans les 15 jours suivant l’arrivée des navires transportant des filles du Roy. Et on lit que le premier homme accusé d’un crime contre nature, en 1648, a été libéré après avoir accepté de devenir le premier bourreau de la Nouvelle-France.
Pendant que la répression des homosexuels se déplaçait du côté de la psychiatrie et de la médecine, l’urbanisation du Québec a généré une densification des populations, entrainant alors le regroupement d’homosexuels jadis isolés et l’apparition de fratries gaies à l’abri des regards. Peu à peu, les choses ont commencé à changer. Les sociétés secrètes se sont multipliées dès les années 1920. La Suède a dépénalisé l’homosexualité en 1947. Le rapport Kinsey a révélé que 10% des hommes étaient attirés principalement par d’autres hommes. Des magazines sur la forme physique masculine ont permis l’admiration du corps masculin et ouvert la voie à une forme de légitimation relative de la sexualité. Cependant, tout était loin d’être rose : dans les hôpitaux, on pratiquait fréquemment la lobotomie pour «traiter» les homosexuels, diagnostiqués comme schizophrènes.
La Révolution tranquille a entrainé la libération sexuelle, l’ouverture de bars gais, la création d’associations de défense des homosexuels dans certaines universités (Laval, McGill), la représentation gaie au cinéma (mais via des personnages méchants, pervers ou qui meurent systématiquement, comme un symbole de condamnation), jusqu’au fameux projet de loi omnibus de Pierre Elliott Trudeau de 1969 décriminalisant la sodomie. Au tournant des années 1980, la planète a été secouée par l’apparition du VIH-SIDA et la croyance – aujourd’hui démentie – que le patient zéro était un agent de bord québécois. Serge Fisette continue ainsi son Histoire jusqu’à notre époque, avec une multitude d’exemples artistiques, militants et politiques. «À part Michel Tremblay, qui a en quelque sorte universalisé la cause homosexuelle avec ses pièces de théâtre et ses romans, peu de gens ont fait des choses sur le sujet pour le grand public. Ça me semblait nécessaire.».
INFOS | Le livre sera en librairie dès le 14 septembre