C’est à Manchester, entre journées de boulot ordinaire et nuits de tournage improvisées, qu’est né Departures, une comédie dramatique queer aussi hilarante que déchirante. Ce premier long métrage de Lloyd Eyre-Morgan et Neil Ely, deux cinéastes issus de la classe ouvrière britannique, sera présenté en novembre à Montréal après avoir conquis le public du festival BFI Flare à Londres.
Un amour en partance
Inspiré de véritables chagrins d’amour, Departures raconte l’histoire de Benji, trentenaire gai du Nord de l’Angleterre, qui croise le mystérieux Jake dans la salle d’embarquement d’un aéroport. S’ensuit une relation clandestine faite de week-ends torrides à Amsterdam, où le jeu de séduction se transforme graduellement en piège émotionnel. Lorsque Jake le quitte brutalement, Benji s’enfonce dans l’alcool, les rencontres sans lendemain et une spirale d’autodestruction. Le film jongle avec l’humour grinçant et une émotion brute pour explorer le pouvoir destructeur des relations inégales. Pour Lloyd Eyre-Morgan, qui signe le scénario, la coréalisation et incarne Benji, le film est directement nourri de ses propres blessures : « J’étais dans un état lamentable quand j’ai commencé à écrire. Les dix premières minutes à l’écran sont sans doute les plus vraies, parce que je les vivais réellement. » Son partenaire créatif, Neil Ely, y a injecté ses propres souvenirs, dont une agression sexuelle que le film met en scène avec une intensité bouleversante. Travaillant aujourd’hui auprès de survivants de violences sexuelles à Manchester, Ely voulait avant tout que cette expérience soit représentée avec justesse et sensibilité.
L’authenticité comme moteur
Tourné en seulement 12 jours étalés sur neuf mois — entre les semaines passées à peindre des plafonds et les week-ends consacrés au cinéma —, Departures est l’œuvre d’un collectif queer et ouvrier qui a refusé d’attendre le feu vert des institutions. Sans financement officiel, les deux réalisateurs ont mis leurs économies, leur sueur et leur humour à contribution.
« Si on attendait les subventions, on ne ferait jamais rien », explique Ely. « Alors on a décidé de se retrousser les manches et de le tourner coûte que coûte. » Leur approche artisanale se traduit par une énergie brute et une liberté de ton rares dans le cinéma queer contemporain. Eyre-Morgan, qui lutte lui-même avec des insécurités liées à son image corporelle, tenait à montrer un protagoniste gay loin des standards hypersexualisés souvent imposés au grand écran. « Dans les films gais, on s’attend encore trop souvent à voir des corps parfaits. Moi, je voulais qu’on voie autre chose, qu’on voie la réalité. » Si le film est profondément autobiographique, il touche à des thèmes universels : l’obsession, la dépendance affective, la difficulté de se reconstruire après un amour destructeur. Les spectateurs et spectatrices, qu’ils soient queer ou non, y reconnaissent des fragments de leurs propres histoires. « C’est le récit d’une relation toxique, et ça, tout le monde peut y trouver un écho », résume Ely.
Une famille de cinéma
Depuis plus de dix ans, Ely et Eyre-Morgan multiplient les projets ensemble, souvent en marge des circuits traditionnels. Leur complicité éclate dans le film comme dans leurs éclats de rire en entrevue. Autour d’eux gravite une « famille » de créateurs et créatrices qui, tous et toutes, jonglent entre emplois alimentaires et passion du cinéma. Leur persévérance a porté ses fruits : Departures est désormais finaliste aux National Film Awards britanniques dans la catégorie Meilleure comédie. Avec son mélange de comédie noire, de réalisme social et de vérité queer sans fard, Departures promet de marquer le public. Pensez Shirley Valentine version queer qui croise l’énergie de Trainspotting. Un cinéma qui refuse les compromis, porté par deux artistes qui se battent pour raconter leurs vérités et offrir une voix aux récits qu’on n’entend pas assez.
INFOS | Departure sera présenté dans le cadre de la 38e édition d’Image+Nation qui se tiendra du 20 au 30 novembre prochain.