Samedi, 1 novembre 2025
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    L’art sous plusieurs formes pour Denis B. Lapointe

    Jusqu’au 20 décembre prochain, on peut voir aux Archives gaies du Québec (AGQ) un projet d’envergure mené de main de maître par François Bellemare : l’exposition L’émergence du Village gai de Montréal (1974-1990). Dans le cadre de cette exposition, l’auteur a réalisé une série de sept vidéos donnant la parole à des militant.e.s et à des témoins de cette époque fondatrice. Parmi eux, Denis B. Lapointe (aussi connu sous le nom de Denis B. Lévesque), artiste multidisciplinaire qui a participé à plusieurs expositions de photos et signé des créations vidéo et musicales. Son parcours mêle intimement militance et création.

    Le vernissage de cette exposition s’est tenu le 4 octobre dernier aux AGQ en présence d’une cinquantaine de personnes.

    Une militance tatouée sur le bras
    Oui, Denis B. Lapointe a été de ceux et celles qui ont pavé la voie. Militant de la première heure, il a organisé des soirées-bénéfice pour l’ADGQ (Association pour les droits des gais du Québec), dont les légendaires partys d’Halloween et la « Danse des papettes » du  8 septembre 1984, tenue en guise de protestation contre la venue du pape Jean-Paul II à Montréal. Dans les années 1980, il anime également l’émission Antenne rose à Radio Centre-Ville. Sur son bras, il porte un tatouage du triangle rose, symbole porté par les prisonniers homosexuels dans les camps de concentration nazis.

    Le 11 novembre 1984, jour du Souvenir, il dépose une couronne de fleurs au monument des anciens combattants — un geste qui lui vaut d’être pris à partie par certains vétérans et survivants de l’Holocauste. « On m’a crié : “Il n’y avait pas de prisonniers homosexuels dans les camps !” C’était violent et agressif à l’époque », se remémore-t-il. « Le triangle rose a été oublié, mais je trouve
    essentiel de rappeler ce qui s’est passé, les gens qui ont été torturés et tués. Surtout quand on voit tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. »

    Que pensez-vous de la situation actuelle aux États-Unis et du peu de réactions au Québec face à cette montée conservatrice ?
    Denis B. Lapointe : Je ne savais pas que peu d’organismes, officiellement du moins, s’en préoccupaient. Que veut dire « s’en préoccuper », sinon offrir des pensées et des prières ? Bien sûr que je compatis à la peur et à l’angoisse causées par ces reculs. Mais je me positionne en résistant à l’importation des conflits idéologiques, religieux ou politiques étrangers à notre réalité. Depuis 65 ans, le Québec s’est bâti une société progressiste. Je ne suis pas naïf au point de croire que cette vague ne pourrait pas ébranler nos certitudes — paradoxalement par le biais même de notre Charte des droits.

    Quant à ce président « orange », dans l’échelle cosmique, il ne restera qu’une anecdote. Keep calm !  Et quel regard portez-vous sur l’évolution des droits LGBTQ+ au Canada ?
    Denis B. Lapointe : Il faut rester vigilant. Toute loi peut être menacée, que ce soit par des lobbys répressifs ou par l’élection de gouvernements peu sensibles à notre réalité. Mais le Canada — et surtout le Québec — demeure sans doute le meilleur endroit au monde pour vivre et laisser vivre. Peut-être serait-il temps d’organiser des états généraux de la militance arc-en-ciel, de repenser nos concepts, notre vocabulaire, la diversité des figures médiatiques, d’inclure aussi des homosexuels binaires, hommes et femmes, et de bâtir des ponts avec l’ensemble de la société. Il faut que chacune et chacun, peu importe son identité, se sente partie prenante, contribue et enrichisse le monde commun, qu’on soit en robe ou en veston.

    Comment avez-vous vécu l’invitation de François Bellemare à participer à l’exposition ?
    Denis B. Lapointe : En fait, c’est moi qui ai répondu à l’appel à témoins des AGQ. François m’a ensuite contacté pour son projet sur la migration du nightlife gai de l’ouest vers l’est — la naissance du Village gai, à l’image de ceux de San Francisco ou de New York. J’étais le seul militant associé à l’ADGQ à témoigner. Il me semblait essentiel de rappeler l’importance du rôle de cette organisation dans les avancées politiques et sociales de ce qu’on appelait alors les gais et les lesbiennes. J’étais humblement fier d’apporter des  éléments d’histoire, de la documentation visuelle et des repères chronologiques à cette narration de notre exode vers des terres plus accueillantes. En somme, j’ai participé à un travail de mémoire essentiel : se rappeler que, si mes droits fondamentaux me permettent aujourd’hui d’exister pleinement, c’est grâce à ces « boomers », à ces gais et lesbiennes binaires qui ont ouvert la voie.

    Comment votre militance s’exprime-t-elle aujourd’hui à travers votre art ?
    Denis B. Lapointe : La militance m’habite toujours. Elle se manifeste sous différentes formes, plus ou moins visibles selon les époques ou les causes, mais elle reste politique. En photo, en vidéo, en écriture ou en musique, j’ai toujours dénoncé les aberrations de ces hommes en falbalas dont les crimes ont terni la perception de l’homosexualité.

    Le projet musical de Denis B. Lapointe, Konkrete Katedral, fondé avec Alain Desjean il y a cinq ans, illustre bien cette continuité : « C’est une interpellation, un manifeste pour celles et ceux que les “gens de jour” relèguent à la nuit. » Le décès récent d’Alain Desjean a été un coup dur, mais le projet se poursuit : « Sous mon identité musicale Sapiens, je poursuis une recherche conceptuelle, entre intensité brute et spiritualité. J’ai toujours refusé l’étiquette d’“art gai” — trop réductrice — tout en revendiquant une démarche queer pleinement assumée. »

    INFOS | L’exposition L’émergence du Village gai de Montréal (1974-1990) se tient au local des Archives Gaies du Québec, 201-A, 1000 rue Amherst, jusqu’au 20 décembre.

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