Dans Sandbag Dam, une petite communauté rurale est menacée à la fois par une crue imminente… et par l’amour. La réalisatrice croate Čejen Černić Čanak signe un drame tendre et tendu à la fois, où un adolescent, Marko, doit affronter des émotions aussi dangereuses, à ses yeux, que les eaux qui montent. Lorsque son ami d’enfance Slaven revient au village, les sentiments qui l’avaient poussé à fuir refont surface.
Dans Sandbag Dam, on ressent constamment une menace latente. Est-ce la peur de l’inondation, ou plutôt celle de ce qui pourrait arriver à ces deux garçons ?
Čejen Černić Čanak : Je voulais que le public sente cette tension dès les premières images — quelque chose plane, et ça s’intensifie peu à peu. C’est avant tout l’histoire d’un amour interdit entre deux jeunes hommes dans un petit village croate. Et la Croatie reste un pays très fermé d’esprit. Je ne m’en rendais pas pleinement compte avant de me lancer dans ce projet.
On vit tous dans nos bulles, on se dit que la tolérance et l’acceptation vont de soi, mais c’est faux. Pendant les auditions, j’ai rencontré beaucoup de jeunes. Je leur disais : « Si le sujet du film te met mal à l’aise, dis-le-moi. » Plusieurs l’ont fait. C’est là que j’ai compris à quel point le fait d’être gai en Croatie peut te faire sentir menacé.

Dans ce contexte, la culture de la virilité devient presque une arme. Dans le film, on a l’impression qu’il y a toujours quelqu’un en train de faire un bras de fer !
Černić Čanak : Oui (rires) ! Je ne savais même pas à quel point ce sport est populaire là-bas. Les hommes en sont obsédés. C’est tellement absurde que ça en devient comique.
Les histoires LGBTQ+ au cinéma sont souvent sombres ou violentes. La vôtre montre aussi de la lumière, de la tendresse.
Černić Čanak : Quand j’ai lu le scénario de Tomislav Zajec, j’ai senti une énorme responsabilité. Je suis une femme hétéro, et je raconte l’amour entre deux garçons. Mais mon but était de faire ressentir leurs émotions à tout le monde, même à celles et ceux qui ne comprennent pas ce genre de relation.
Je voulais montrer la douceur, la bienveillance, pour que le public – y compris en Croatie – puisse se dire : « Je comprends. C’est une histoire d’amour. »
J’ai voulu parler un langage universel : celui de la peur, du rejet et des émotions interdites.
Leur lien est fort, mais il y a aussi quelque chose d’enfantin dans leur relation.
Černić Čanak : Oui, ils ont gardé une complicité très naïve. Ils jouent, ils s’inventent des histoires, ils prétendent qu’ils vont partir loin ensemble dans leur voiture imaginaire.
Marko et Slaven – joués par Lav Novosel et Andrija Žunac – se connaissent depuis toujours. Ils étaient meilleurs amis enfants, puis ils sont tombés amoureux. Mais cet amour n’avait pas le droit d’exister. Et puis, entre nous, les hommes gardent toujours un petit côté immature ! [rire]
Quand je fais un casting, j’essaie de ne pas imaginer le personnage à l’avance. Sinon, je me ferme. Je préfère observer. J’ai trouvé Andrija rapidement, mais le rôle de Marko a été beaucoup plus difficile à distribuer. Un jeune acteur a dû refuser, car sa famille s’y opposait. J’étais dévastée. Puis j’ai vu Lav au théâtre. On a répété pendant sept mois. Ce temps passé ensemble est essentiel : ces deux acteurs étaient très jeunes, et c’étaient leurs premiers grands rôles. Il fallait créer un espace de confiance, de sécurité.

Le film aborde la peur du rejet – et quand elle se concrétise, c’est brutal.
Černić Čanak : Oui. Beaucoup de gens pensent encore que l’homosexualité est un «choix». La mère de Marko fait partie de ceux-là. Pour elle, si l’un de ses fils est gai et que l’autre vit avec la trisomie 21, qu’est-ce que ça dit de la lignée familiale ? Dans un petit village, c’est vécu comme une honte. Elle agit par peur, par impuissance. Elle n’a pas les outils pour comprendre ce que vit son fils, alors elle essaie de le “corriger” à coups de colère et de violence.
L’histoire s’inspire-t-elle de faits réels ?
Černić Čanak : Le scénariste, Tomislav, est gai, et il a commencé à écrire ce projet il y a douze ans. À l’origine, l’histoire était racontée du point de vue de Slaven. On a ensuite choisi de la recentrer sur Marko, mais tout part d’une réalité vécue.
J’ai aussi parlé à beaucoup de jeunes pendant la préparation du film. Cette histoire est universelle : tant de personnes ont connu le rejet, sous une forme ou une autre. Et moi aussi, j’ai déjà vécu un amour “interdit”. Quand tu aimes quelqu’un, mais que pour une raison ou une autre tu ne peux pas être avec lui… c’est une douleur qu’on comprend tous.
En Croatie, même des parents très éduqués rejettent encore leurs enfants simplement parce qu’ils sont gais. C’est un sujet essentiel pour notre pays. Mais lors du développement du projet, au forum When East Meets West, des gens d’autres pays sont venus nous dire : “On se reconnaît dans cette histoire.”
Si Sandbag Dam pouvait aider ne serait-ce qu’une personne à ouvrir les yeux, ce serait déjà une victoire.
INFOS : Ce film sera présenté dans la cadre du festival image+nation, qui se tiendra du 20 au 30 novembre 2025. Pour vous procurer des billets https://image-nation.org/festival-2025

