Adaptée par Évelyne de la Chenelière et mise en scène par Cédric Delorme-Bouchard d’après la nouvelle de l’écrivain japonais, Akira Yoshimura, La jeune fille suppliciée sur une étagère est présentée au théâtre Prospero jusqu’au 6 décembre prochain. Un exercice de très haute voltige transcendée par la prestation éblouissante de Larissa Corriveau.
Et si nous pouvions être conscient.e de ce qui se passe tout de suite après notre mort avant de finir dans l’éternité de l’oubli. Conscient.e du temps qui fait, mais aussi spectateur ou spectatrice de ce que l’on fait de nous sans que nous puissions intervenir, comme le souligne la jeune fille : « À nouveau seule, quelque chose m’apparut pour la première fois d’une manière très nette : je ne fais plus rien. Tout ne fait que m’arriver ». Sa voix nous relate alors les heures et les jours qui suivent son décès à la suite d’une pneumonie. Contre de l’argent, ses parents vendent son corps qui servira de terrain de jeux à des scientifiques, des étudiants en médecine jusqu’à qu’il ne reste plus rien sinon quelques cendres dans une urne. Une urne rangée dans une chapelle parmi d’autres urnes que personnes ne réclament.
Comment rendre compte alors sur scène de cette dissolution consciente jusqu’à la disparition totale et de la voix qui s’éteint dans un murmure, une plainte résignée. Cédric Delorme-Bouchard a choisi de nous proposer cette nouvelle sous la forme d’un conte magique. Sur scène une immense boîte ou trône en son centre une masse informe, hideuse, qui bouge lentement d’où émergera la jeune fille, se débarrassant de cette gaine. Mais la chrysalide n’accouche pas d’un papillon mais d’un corps. Un corps dont nous assisterons à la lente et inéluctable désintégration entre les mains dotées de couteaux et de scalpels de spécialistes. Tous des hommes. Yoshimura écrit sa nouvelle au tournant des années soixante. La métamorphose se fait sous nos yeux dans une surprenante et saisissante chorégraphie dans laquelle se glisse Larissa Corriveau racontant son histoire.

L’écriture de l’auteur japonais est blanche. Ni pathos, ni larmoiements, ni plaintes, une description clinique de ce qui attend un corps mort, un bout de viande dont chacun peut se servir à sa guise, choisir sa partie, jusqu’au cerveau bien évidemment. Texte saisissant, éprouvant à l’écoute mais transfiguré par la mise en scène d’une beauté presqu’insupportable au regard de ce qu’elle évoque grâce à des jeux de lumière remarquables, une des forces de Cédric Bouchard-Delorme. Le Japon est évoqué mais de manière très subtile, des clins d’œil pour ne pas réduire l’œuvre à une époque et à une culture donnée.
Réifiée avant sa mort, on apprend que la jeune femme a été exploitée par ses parents, et est devenue stripteaseuse avant d’être atteinte de pneumonie. Réifiée, elle est aussi après sa mort. La contemporanéité du texte vient alors nous frapper. La femme a-t-elle un réel pouvoir sur sa propre vie ou n’est-elle que vouée à être un objet entre les mains des hommes. Les deux hommes qui viennent prendre son corps, une fois dans la salle de dissection, la dénude et jettent un regard concupiscent sur l’adolescente.
Il est des objets théâtraux qui sont des ovnis dans la production générale. La jeune fille suppliciée… en est un. Saisit par la beauté de la mise en scène, bouleversé par cette traversée de déshumanisation, ce n’est plus qu’un appel à la méditation et au silence. Exercice de haute voltige, qui ne peut se comprendre que par la rencontre fusionnelle entre l’œuvre de Yoshimura, l’adaptation sensible du texte par Évelyne de la Chenelière, la puissance de l’imagination de Cédric Bouchard-Delorme et l’époustouflante interprétation protéiforme de Larissa Corriveau.
INFOS | La jeune fille suppliciée sur une étagère. Théâtre Prospéro, jusqu’au 6 décembre 2025. Texte : Akira Yoshimura. Adaptation : Évelyne de la Chenelière. Mise en scène : Cédric Delorme-Bouchard. Avec : Larissa Corriveau et Jennifer Desbiens
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