Taxes et loyers élevés, mauvaise gestion, manque de clientèle qui fréquente plutôt les commerces de banlieue, commandes en ligne sans cesse en augmentation, travaux incessants, etc., bref, les raisons du taux de fermeture des commerces et donc d’inoccupation des locaux commerciaux sont nombreuses. À partir du 14 janvier et jusqu’au 21, avaient lieu plusieurs séances d’auditions et de mémoires tenus par la Ville de Montréal sur la «Problématique des locaux vacants sur les artères commerciales». L’Association des sociétés de développement commercial de Montréal (ASDCM) y déposait un mémoire énonçant 17 recommandations. À Montréal, selon certaines statistiques, le taux d’inoccupation des locaux est en moyenne de 15%.
La situation s’avérait tellement néfaste pour certaines artères que la Ville avait entrepris, en avril 2018, de créer un comité consultatif pour son «Plan commerce». Présidé par Guy Cormier, président et chef de la direction de Desjardins, ce comité avait émis, au terme de ses délibérations en juillet 2018, 23 recommandations qui ont été plus ou moins suivies par l’administration municipale. Cependant, par la voix de sa mairesse, Valérie Plante, la Ville avait décidé de consulter les divers intervenants du milieu et de voir ce qui se fait ailleurs avant de prendre des engagements fermes sur ce dossier.
«Le rapport du comité consultatif en commerce a très largement inspiré le dépôt du Plan d’action en commerce, Vivre Montréal, alors que la très grande majorité des recommandations ont été considérées dans le cadre de ce plan. Des 23 recommandations émises, 17 ont été inclues dans le plan en tout ou en partie. Ce plan d’action s’échelonne de 2018 à 2021 et est donc en cours de réalisation. À titre d’exemple, le Comité a recommandé une réduction du taux de la taxe foncière générale non résidentielle pour le premier 500 000$ d’évaluation et la Ville dans son dernier budget, a diminué les taxes de 12,5% des immeubles non résidentiels pour les tranches de valeur foncière en bas de 625 000$», indique par écrit Gonzalo Nunez, du département de communications de la Ville.
La vacance commerciale ne touche pas que le Village comme on le voit bien si on se promène un peu dans les différents quartiers. Ce taux augmente à 26% (selon les derniers chiffres) pour la rue Saint-Denis! «Saint-Denis n’est pas bien du tout, il y a là un enjeu majeur d’urbanisme aussi. Il faut comprendre qu’une artère est changeante, qu’elle évolue. Il faut donc aider les artères commerciales et ne pas attendre que les choses empirent. Il faut donc agir rapidement et c’est ce que nous préconisons dans notre mémoire», indique Caroline Tessier, la directrice générale de l’ASDCM. Évidemment, les politiques de la Ville sont ici en cause…
«L’hiver est la période la plus difficile pour le Village, explique Yannick Brouillette, le directeur général de la Société de développement commercial (SDC) Village Montréal. En excluant la Place Dupuis, la SDC compte 243 membres et, en date du 9 janvier, on observe 44 locaux vacants, soit 18%. C’est très élevé. Le Village est un écosystème particulier parce que c’est essentiellement un lieu de destination [touristique] et non un lieu de proximité. Ça veut dire qu’il y a plus d’activités et des touristes l’été. À l’approche de la période estivale, on assistera à l’ouverture de nouveaux commerces, ce qui fera baisser ce chiffre à 14%, donc en dessous du taux moyen de Montréal qui est de 15%. Mais tout le monde s’entend qu’il faut travailler sur le long terme.»
«Pour les SDC, il y a quatre enjeux majeurs qui sont ainsi regroupés par thèmes dans nos recommandations à la Ville», dit Caroline Tessier. Les taxes éle-vées et l’équité entre les quar-tiers centraux et les secteurs où l’on compte des centres d’achats et qui ne paient pratiquement pas de taxes en regard de tous les services utilisés. Il y a le volet d’identification des locaux à louer, depuis combien de temps, etc., donc établir un registre pour avoir un meilleur portrait de la situation pour mieux agir et que la Ville confirme que les artères sont importantes. «Il faut que la Ville s’occupe des artères, qu’elles soient propres, qu’elles soient bien déneigées en hiver, qu’elles soient verdies, qu’elles soient attirantes pour les citoyens, poursuit Caroline Tessier. Le commercial paie presque quatre fois ce que le résidentiel paie en taxe, mais sans recevoir nécessairement autant de services.»
Et en quatrième lieu, la fisca-lité des propriétaires immobiliers qui ne font pas leur part: qu’il y ait un registre des baux commerciaux, comme dans le résidentiel, que les propriétaires entretiennent les locaux lorsqu’ils sont vacants, qu’ils ne les laissent pas à l’abandon. «Lorsque c’est malpropre, qu’il y a des graffitis, que des vitres sont brisées, que le local semble tomber en ruine, cela est néfaste pour les commerces voisins et pour un éventuel entrepreneur qui voudrait louer l’espace, il incombe donc au propriétaire de l’édifice de s’en occuper et de l’entretenir», de continuer Caroline Tessier, la directrice générale de l’ASDCM. Il faut aussi imposer une taxe aux propriétaires de bâtisses qui laissent leurs locaux vacants avec des objectifs de spéculation selon l’ASDCM.
«La redevance règlementaire des propriétaires d’édifices est une bonne idée. À Chicago, il y a une telle redevance et ils ont réduit considérablement la spéculation foncière des locaux commerciaux et il y a donc moins de commerces à louer sur une longue période, nous dit Yannick Brouillette. Le Village de Chicago, entre autres, avait eu ce problème et le Lake View East Chamber of Commerce [l’équivalent à la fois de la SDC du Village, de la Chambre de commerce LGBT du Québec et de Fierté Montréal] s’est battue contre les locaux vides et abandonnés. Et cela fonctionne bien maintenant. J’ai bon espoir que la revitalisation du Village va passer par une telle mesure entreprise par la Ville. Le pire va être ainsi réglé car, une fois qu’on aura la piétonisation avec le nouveau projet remplaçant les Boules de Cormier, une fois qu’on s’occupera de la propreté et que l’on aura obtenu des subventions pour la rénovation des façades et des locaux vacants, le Village sera encore un plus bel endroit.»
«On travaille en collaboration avec l’Association des SDC de Montréal (ASDCM) qui présente son mémoire à la Ville, dit Yannick Brouillette. Il ne faut pas oublier que les SDC sont des leaders et connaissent le dossier mieux que quiconque. Nous sommes partie prenante de ce mémoire, nous, dans le Village.»
«Les taxes sont injustes. La Ville devrait les baisser pour donner une chance aux commerçants», réclame Yannick Brouillette. Et il n’a pas tort.
«Le taux d’impôt foncier commercial à Montréal est beaucoup plus élevé que dans d’autres villes canadiennes révélait une étude du Groupe Altus. Il est estimé à près de 38$ par tranche de 1000$, en moyenne, alors qu’à Toronto il tourne autour de 23$», peut-on lire sous la plume d’Elsa Iskander (Journal de Montréal, 27 novembre 2019). C’est tout de même une différence de 15$ par tranche de 1000$ que paient les commerçants montréalais par rapports à leurs homologues de la Ville Reine. Ce à quoi la Ville répond que «Les valeurs foncières des immeubles dans les deux villes ne sont pas au même niveau. Ainsi, les valeurs foncières des immeubles torontois sont plus élevées que celles des immeubles montréalais, ce qui a pour effets que, pour lever le même niveau de revenus, les taux fonciers nécessaires seraient plus faibles à Toronto qu’à Montréal […]», indique Gonzalo Nunez.
La SDC Village Montréal a demandé plusieurs fois que le PRAM-Commerce, un programme de rénovation des commerces et façades, soit instauré dans ce secteur. Mais cela n’a pas été retenu. Toujours par voie écrite, la Ville nous a informés que «les dossiers présentés par la SDC du Village suite aux appels de candidature pour les cohortes 2016, 2017, 2018 et 2019 dans le cadre de ce programme n’ont pas obtenu suffisamment de points pour que le comité de sélection recommande une désignation du secteur du Village Montréal par le comité exécutif de la Ville. Enfin, il est à noter que la SDC du Village n’a pas présenté de dossier de candidature en vue de la désignation de la cohorte 2020».
Selon Gonzalo Nunez, le comité de sélection du PRAM-Commerce évalue les demandes en fonction de critères bien précis tels que:
1) la faiblesse du secteur commercial, son besoin de redynamisation ou de consolidation et son degré d’importance dans la structure organisationnelle de la fonction commerciale montréalaise comptant pour 30% du pointage global;
2) les moyens préconisés pour favoriser la participation des commerçants et des propriétaires comptant pour 40% du pointage global;
3) la complémentarité avec des interventions privées ou publiques comptant pour 30% du pointage global. C’est donc sur cette base que la SDC Village n’a pas reçue l’aval du dit comité…
Dans le but d’avoir un meilleur profil du secteur, la SDC Village Montréal a commandé une étude socio-ethnographique. Cela aiguillera cette SDC vers une nouvelle stratégie. «Avec cette enquête, on espère mieux savoir quels types de commerces ajouter dans le quartier et formuler des demandes d’investissements en ce sens, rajoute le directeur général de la SDC Village Montréal. Surtout en ce qui a trait aux commerces de proximité. C’est bien que le Village soit un lieu festif et amusant en été avec les touristes, mais que l’on puisse répondre aux besoins des résidents également. À partir de maintenant, le nombre de résidents ne fera qu’augmenter [avec les divers projets domiciliaires]. Donc, la richesse sera d’avoir une mixité commerciale sur Sainte-Catherine.»