Jeudi, 10 octobre 2024
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    «La Blessure» ou porter le poids du monde

    Rares sont les pièces qui viennent nous confronter à nous-mêmes, face à toutes nos contradictions, le peu de pouvoir sur le monde, notre impuissance individuelle à secouer les colonnes du temple, mais aussi les espaces parfois superficiels qu’on investit pour retrouver un peu de plaisir et un peu de sérénité précédant la culpabilité, lorsque le poids du monde revient affaisser nos épaules. C’est ce que propose la dramaturge Gabrielle Lessard et qui signe la mise en scène de La Blessure, une tragédie à laquelle on aimerait accoler le terme de comédie. Mais Gabrielle Lessard refuse – et c’est à tout son honneur – que le rire efface les blessures qui sont celles de ses personnages et si nous écoutons bien, les nôtres.

    Anne, une femme, que l’on qualifierait avec des termes très tendance, de psychorigide et éco-anxieuse, refuse de subir une chimiothérapie pour traiter un cancer du sein. Autour d’elle, sa conjointe, sa soeur, une amie et enfin sa mère tentent de la convaincre d’accepter le traitement. Anne se refuse à devenir une cobaye entre les mains des médecins, accusant l’industrie capitaliste d’être responsable de la pollution et par à même de son cancer, et l’industrie pharmaceutique bien évidemment. Fidèle à ses idéaux, elle se heurte aux compromis que lui proposent les quatre autres femmes, par amour pour elle, pour ne pas la perdre. Mais c’est aussi un règlement de compte entre toutes ses femmes, qui en viennent à oser se dire ce qu’elles ne se sont jamais dites.


    Anne, jouée par Marie-Anick Blais, pose le cadre presqu’existentiel des questions et surtout des contradictions avec lesquelles nous devons toustes composer, entre héroïsme et traîtrise, engagement et renoncement, se complaire dans la souffrance et dans la lutte, se réfugier dans le plaisir futile et dans les gestes inutiles, sans être pour autant heureux.ses des choix que l’on fait.


    Entre Anne, l’exaltée, il y a Josyane (Ève Duranceau), la conjointe en admiration pour Anne, la guerrière, la soeur d’Anne (Lamia Benhacine) qui a réussi en tant que grande avocate d’industriels, l’ amie (Catherine Boulianne) qui écrit des livres de cuisine, et enfin la mère, Manon (Monique Spaziani) dont le procès sera fait par ses deux filles. Bien sûr, il y a parfois exagération dans les paroles de ces femmes qui sont chacune emblématique de toutes les femmes. Le ton est corrosif, sans concession, mais permet d’approcher peut-être une parole vraie avec tout ce qu’elle a de caustique mais aussi de pertinence.


    Il y a une absence – mais aussi une présence comme des fantômes invisibles et silencieux – celle des hommes. À peine sont-ils évoqués, un ancien petit ami, le fils très jeune de l’amie, le père d’Anne. Un effleurement qui pose une question sur la responsabilité de ces derniers dans la difficile entreprise de se sentir bien dans un monde qui nous rend impuissant et souvent imbécile. Ce fameux poids du monde à porter avec la culpabilité qu’il induit par l’impuissance de le changer, n’est-il pas encore le fardeau de toutes les femmes qui, malgré leurs moments d’égarement, d’aveuglement choisi, la recherche d’espace pour respirer et apprécier la vie, le portent toujours et encore. Et Anne, la rebelle, la guerrière, la Jeanne d’Arc qui veut sauver le monde.

    INFOS | La Blessure de et par Gabrielle Lessard. à Espace Libre. Jusqu’au 9 avril 2022
    espacelibre.qc.ca

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