Dimanche, 16 novembre 2025
• • •
    Publicité

    Entrevue avec les réalisateurs de Departures: «C’est notre vérité à l’écran, on l’a tourné dans l’urgence»

    Inspiré par une rupture et des traumatismes vécus, le scénariste, coréalisateur, producteur et acteur britannique Lloyd Eyre-Morgan s’est de nouveau associé à son complice de longue date, le coréalisateur et producteur Neil Ely, pour canaliser ses émotions dans leur plus récent long métrage, la comédie dramatique noire Departures. Nous leur avons posé 5 questions… sur ce film qui sera présenté dans le cadre d’image+nation cette année.

    Situé à Manchester, le film suit Benji (interprété par Lloyd Eyre-Morgan), un trentenaire gai du Nord de l’Angleterre plutôt réservé, qui tombe amoureux du mauvais gars après une rencontre fortuite dans la zone d’embarquement d’un aéroport. Il s’embarque alors dans une relation aussi passionnée que destructrice avec Jake (David Tag), un homme séduisant, dominant et insaisissable. Le duo se retrouve lors de week-ends secrets et torrides à Amsterdam, sans jamais savoir où il en est vraiment.

    Lloyd, à quoi pensiez-vous en écrivant le scénario ?

    Lloyd Eyre-Morgan : « J’étais dans un très mauvais état d’esprit au moment où tout a pris forme. Je ressentais certaines choses que Benji vit dans le film, alors j’ai décidé de les mettre sur papier. Neil et moi sommes très proches — on travaille ensemble depuis des années — et on voulait transformer ce que je traversais en récit. On a puisé dans nos expériences respectives de relations amoureuses, on les a combinées, et Departures est né. Pendant le premier mois de tournage, j’étais encore dans le creux de la vague. Mais au deuxième mois, j’avais commencé à digérer un peu ce que je vivais et je me suis dit : “Mon dieu, je suis dans un film ! Qu’est-ce que j’ai fait ?” Mais c’était trop tard pour reculer, alors on a continué à tourner ! »

    Donc c’est en grande partie autobiographique ?

    Lloyd : Oui, beaucoup des émotions de Benji, je les ai ressenties. J’ai vécu des relations similaires. C’est un film extrêmement personnel. Je ne vais évidemment pas révéler qui sont les personnes réelles derrière ces histoires, mais ce qu’on voit à l’écran, c’est notre vérité. On l’a tourné dans l’urgence, pendant qu’on le vivait.

    Neil Ely : Le film regorge d’expériences vécues, par l’un ou par l’autre de nous deux. Il était crucial de bien rendre certaines scènes, comme celle de l’agression sexuelle, qui s’inspire directement d’une expérience vécue. On a beaucoup travaillé cette scène pour qu’elle sonne juste.

    Lloyd Eyre-Morgan et Neil Ely

    Qu’est-ce qui a guidé la mise en scène de cette séquence délicate ?

    Neil : C’est la scène la plus difficile à revoir au montage. Sur le plateau, je me concentrais sur la précision du jeu, mais à la projection, c’était bouleversant. J’ai senti à quel point ça ressemblait à ce que j’avais vécu. Cette partie du tournage a été émotionnellement éprouvante. Je suis impliqué depuis plusieurs années auprès de l’organisme We Are Survivors, à Manchester. J’y ai d’abord suivi une thérapie, puis j’ai fait du bénévolat — j’ai même repeint leur salle de counseling ! Finalement, j’y travaille maintenant, au sein de l’équipe de développement communautaire, où j’aide des hommes qui ont subi des traumatismes ou des violences sexuelles. Entendre d’autres témoignages m’a aussi beaucoup aidé à mieux comprendre ce que j’avais vécu.  À un moment, on avait imaginé une séquence musicale pendant la dissociation de Benji, mais le ton ne fonctionnait pas — c’était trop décalé. On a plutôt cherché une représentation visuelle des images mentales qui surgissent lors d’une dissociation, et la proposition de Lloyd s’est avérée parfaite. Quand le personnage dit : “Je n’ai pas les mots pour parler de ce qui s’est passé hier soir”, ça reflète une réalité : il faut souvent jusqu’à vingt ans pour qu’un homme puisse parler d’un tel événement. Et la scène où il cherche du sexe tout de suite après, c’est aussi une réaction courante — une manière de reprendre le contrôle. On voulait vraiment traiter ça avec sensibilité, et si ça ouvre la discussion, alors on aura atteint quelque chose. 

    Le film aborde aussi la question de l’image corporelle. Pourquoi ?

    Lloyd : Je vis moi-même de grandes insécurités par rapport à mon corps, alors c’est venu naturellement dans le film. Dans la culture gaie, c’est omniprésent : les affiches de clubs remplis de gars musclés et découpés… On finit par croire qu’il faut ressembler à ça pour exister. Moi, je ne m’y reconnais pas. Pendant le tournage, il y a une scène où je devais enlever mon chandail et entrer dans l’eau. J’étais mort de peur. Je me disais : “Tout le monde va voir que je suis gros.” On a décidé d’intégrer cette vulnérabilité au film, telle quelle. 

    Neil : Et les réseaux sociaux n’aident pas. Sur Instagram, on dirait que tous les hommes ont un six-pack et des pectoraux parfaits, alors qu’en réalité, c’est loin d’être le cas. Mais on est bombardés d’images qui déforment la perception du corps. On finit par se retoucher soi-même, à vouloir paraître plus jeune, plus frais… C’est une spirale. 

    Quelles ont été vos influences visuelles ou narratives ?

    Lloyd : The Rules of Attraction de Roger Avary, adapté du roman de Bret Easton Ellis, a eu une grande influence sur le style visuel, surtout pour les séquences en écran divisé. Et pour la rupture du quatrième mur, Neil a suggéré de regarder Shirley Valentine. Au début, je regardais la caméra pour rire, mais en revoyant la prise, on a trouvé ça efficace. On s’est dit : “Pourquoi pas ?”

    Neil : Tourner sur neuf mois, c’est à la fois une bénédiction et une malédiction. C’est épuisant quand on doit continuer à payer ses factures, mais ça permet aussi de respirer, de réfléchir, de retoucher ce qui ne fonctionne pas. Quand on tourne un long métrage en deux ou trois semaines, on n’a pas ce luxe-là. Au final, on n’a tourné que 12 jours en tout, mais répartis sur neuf mois. Comme on faisait le montage en parallèle, on savait tout de suite si une scène devait être refaite ou si on devait en ajouter une. »

    INFOS | Le film Departures sera présenté dans le cadre d’image+nation, qui se tiendra du 20 au 30 novembre.

    Abonnez-vous à notre INFOLETTRE!

    Du même auteur

    SUR LE MÊME SUJET

    LAISSER UN COMMENTAIRE

    S'il vous plaît entrez votre commentaire!
    S'il vous plaît entrez votre nom ici

    Publicité

    Actualités

    Les plus consultés cette semaine

    Publicité