C’est le 6 mars 1953 que la pièce de théâtre Sud, de Julien Green, est présentée pour la première fois à Paris. Elle sera jouée plus de cent fois.
Le public réagit favorablement, mais la critique la rejette en général en parlant de dégoût et d’obscénité. C’est que la pièce a un sujet scandaleux pour l’époque : l’homosexualité. Elle met en scène un jeune officier américain, Ian, qui mourra assassiné par l’homme qu’il aime d’un amour désespéré.
Cette histoire tragique d’une pulsion incontrôlable qui pousse Ian Wiczewski vers un hétérosexuel, Erick Mac Clure, se déroule en 1861, juste avant la guerre de Sécession, dans une plantation de la Caroline du Sud, dans ce Sud des États-Unis où la religion a une forte emprise. L’homosexualité y était considérée comme une perversion suscitant l’horreur. Pourtant, elle paraît dans les années 1950 encore indécente alors même qu’elle est indicible dans Sud (Ian ne réussit pas à avouer son amour pour Erick).
C’est une pièce sur le refoulement, sur un amour pur, puritain dans un sens, mais qui semble pour Ian lui-même aussi mystérieux qu’abominable. Julien Green propose à travers lui un homosexuel plutôt typique : le jeune homme est aimable, trop courtois, a une idée archétypale de l’amour; les autres devinent en lui un déviant, un traître à sa condition de mâle.
L’homosexualité demeure ici une énigme, que la multiplication des symboles et des références intériorise et rend déchirante. L’ambiguïté du rapport qu’entretient l’auteur avec l’homosexualité est y consolidée.
Préoccupé par la foi (protestant, il s’est converti au catholicisme), Julien Green est né Julian Hartridge en 1900, à Paris, et y est décédé en 1998. Écrivain habité par la volonté de dire la vérité, il commence à 23 ans à tenir son journal, qu’il publiera par la suite (16 volumes en tout), en plus de regrouper ses souvenirs sous le titre Autobiographie.

Quoique son œuvre soit publiée dans La Pléiade, on trouve de nombreuses éditions ailleurs, comme Le Grand Large du soir, Journal 1997-1998, chez Flammarion; on réédite aussi ses livres comme en fait foi récemment Souvenirs des jours heureux (mémoires qui commencent à sa naissance et vont jusqu’au milieu des années 1920).
Dans ce dernier, il passe sous silence son amour pour Mark qu’il a rencontré à l’université lors d’un séjour en Virginie, de 1919 à 1921. Il le retrouve à Paris en 1923, mais il ne parviendra pas à lui avouer ses sentiments. Ce secret est bien le nœud de Sud, comme celui de Mont-Cinère (1926) et de Moïra (1950). Cet impossible aveu nourrira à jamais les romans de Green, qui baignent dans une atmosphère sombre, désespérée, et où la mort est souvent présente sous forme de meurtres et de suicides.

Les personnages y sont de grands solitaires, proches de la folie, sentant le poids de Dieu sur eux. Souffrants, ils mènent une existence qui ne les satisfait pas, accablés par leur sensualité et leurs désirs érotiques. Ces thèmes romanesques, douloureusement enracinés dans l’œuvre greenienne, sont en quelque sorte la face cachée de l’écrivain.
Son journal et ses récits autobiographiques deviennent alors son portrait positif, portés qu’ils sont par l’espoir, par une confiance en la vie qu’insuffle la croyance en Dieu. L’homosexualité sera dans ces ouvrages sinon occultée, du moins régulièrement métamorphosée en un sentiment d’où toute sexualité est évacuée. On appelle cela «l’amour platonique».
Sud / Julien Green, édition bilingue, présentation de Pascal Aquien. Paris: Flammarion, 273p. (coll. : GF, no 1369)
Le Grand Large du soir: Journal 1997-1998 / Julien Green. Paris: Flammarion, 2006. 295p.
Souvenirs des jours heureux / Julien Green. Paris: Flammarion, 2007. 323p.