Édouard Louis s’est fait connaître par un livre autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule publié en 2014. Eddy Bellegueule? Oui, c’est son vrai nom, donné par ses parents (pauvres) du nord de la France. Il l’a changé au moment de publier ce premier livre, terrible dans ce qu’il décrit : la misère, la violence, les insultes. Il a voulu fuir ce monde qui le rendait malade. Il a fui. Il a changé de nom.
Il ne voulait plus être cet Eddy qui allait reproduire la vie de son père, comme son père a reproduit la vie de son père, de son grand-père, de son arrière-grand-père. Il a transformé son visage, subi plusieurs opérations. Il a voyagé seul en Espagne, aux États-Unis. Il a rêvé d’être reconnu, d’être riche. Il a écrit un premier livre, puis d’autres, Histoire de la violence (2016), Qui a tué mon père (2018), Combat et métamorphoses d’une femme (2021), qui ont été traduits en plusieurs langues, qui l’ont fait voyager partout dans le monde (en Malaisie, au Japon, à Singapour…), il a donné des conférences dans des universités (à Harvard, Berkeley, la Sorbonne),ce qui lui a permis de rencontrer des hommes riches, des aristocrates, après avoir connu, une fois installé à Paris, des dealers, d’avoir fait la pute. Son récent livre Changer : méthode commence justement par une scène de prostitution.
Changer : méthode, au titre un peu sec, est quatrième livre autobiographique d’Édouard Louis. Il y raconte les changements profonds chez lui, sa traîtrise, être le transfuge de sa classe, comme il l’écrit. Divisé en quatre chapitres : I : Deux prologues, II : Elena (explications fictives à mon père), III : Didier (rupture), qui comprend plusieurs courts chapitres, III : Courtes lettres pour un long adieu (explications fictives avec Elena), IV : Dénouement et Épilogue. Plusieurs sous-chapitres reviennent sur son malheur, sa honte, son mépris de la classe prolétarienne. Il revient sur son père (il avait déjà consacré un livre sur sa mère en 2021), sur Amiens où il a étudié avant de monter à Paris. Il puise donc encore dans sa vie la matière de ses livres. Pourra-t-il continuer ainsi longtemps à écrire sur lui? Entre-temps, on aura avec ce livre d’autres aperçus de sa vie, à la fois semblables et différents, surtout dans l’écriture (les phrases sont fluides, les explications percutantes, le rythme est parfait dans sa brièveté). Tout est écrit pour entraîner son lectorat dans une histoire unique, qui se veut, dans la sincérité des événements, universelle. L’ascension sociale d’Édouard Louis a été fulgurante grâce, entre autres, à deux complices connus sur la place de Paris : Geoffroy de Laganière et Didier Éribon (ce dernier est plus connu que l’autre, collaborateur à L’Obs, essayiste, auteur d’un magnifique Retour à Reims ); ils l’ont aidé à se faire connaître, à évoluer dans le monde des lettres et des communications. L’écriture de ses livres a été le déclenchement puissant de sa transformation, de son émancipation.
De nouveau, Édouard Louis dit courageusement son expérience de la vie et de la littérature, dans une impudeur totale et cruelle à la fois, dans un besoin de trouver sa place, son goût d’être reconnu (entre mensonges et défilades pour y arriver). C’est une oeuvre singulière, sensible, vivificatrice, captivante. C’est un livre de souvenirs sur une métamorphose racontée comme un destin balzacien.
Sautons d’univers, allons directement dans la bourgeoisie avec le livre de Jean-Yves Tadié, Marcel Proust. Croquis d’une époque, qui réunit dix ans de critique proustienne, dix ans d’écriture et d’envies. Tadié développe des thèmes dessinant une épopée par des petits détails sur des paysages et des personnages. On retrouvera le fameux « Questionnaire de Proust », dans une troisième version dite du 25 juin 1887, date la naissance de l’écrivain. Pas seulement les questions, mais les réponses aussi de Proust, avec commentaires de Tadié, réponses qui varient entre le trivial et le credo intellectuel. On découvrira Proust dans des conférences sur les jardins, les monuments, la musique (M.P. a été l’ami du compositeur Renaldo Hahn), la peinture, la presse (l’écrivain a collaboré à de nombreux journaux), des écrivains (Baudelaire, Montaigne, Romain Rolland et plusieurs autres.), les romans de Proust (Jean Santeuil, Un amour de Swann), sa gloire, comment il a transformé le roman pour devenir l’écrivain le plus prestigieux de la langue française, le plus grand écrivain du XXe siècle. Les textes de Tadié sont des ravissements, des bulles de saveurs et de goûts, des détails éclatants et inoubliables qui donnent envie de lire et de relire À la recherche du temps perdu.
INFOS | Changer : méthode / Édouard Louis, Paris, Les Éditions du Seuil, 2021, 332 p.
Marcel Proust. Croquis d’une épopée / Jean-Yves Tadié, Paris, Gallimard, 2021, 376 p.