Le roman de Constance Debré, Love Me Tender, est comme la suite de son premier intitulé Play Boy (Stock, 2018) qui racontait son changement d’orientation sexuelle, qu’il fallait assumer. Dans son deuxième, la romancière nous éclaire sur sa nouvelle vie, en se dépouillant de tout : mari, enfant, appartement, carrière. Même qu’elle se débarrasse de ses longs cheveux, qu’elle fait complètement raser. Elle se dépouille de tout, jette tout ne lui reste que son enfant, Paul, qu’elle tente de garder (son mari Laurent lui fait vivre un enfer). Et puis son désir devient impossible, car son fils Paul a grandi et va au lycée, il ne veut pas rester chez elle. Il faut dire que Constance, le personnage, crèche un peu partout selon les rencontres qu’elle fait, avec des filles souvent plus jeunes qu’elle. Elle batifole, papillonne, aimant faire l’amour avec quelqu’une de différente chaque fois — mais à la fin, elle se stabilise — ou désire se stabiliser — après la rencontre avec S. (on ne connait pas les noms des filles qu’elle drague et couche).
Ce roman est peut-être moins un roman d’amour lesbien que celui d’un amour maternel. Un amour qu’il faut faire durer. Quoi qu’elle fasse dans sa vie, Constance pense toujours à son fils. Mais tout s’étiole, les souvenirs avec Paul. Après sa rencontre avec S., elle décide de ne plus penser à son fils, c’est pour elle la meilleure solution pour vivre complètement son nouvel amour, dans une sorte d’abnégation d’un amour pour Paul. En fait, Constance n’a plus rien à perdre, elle qui vient d’une famille très bourgeoise et connue, les Debré (son oncle, Jean-Louis Debré, est un politicien connu). Elle a 47 ans et lâche tout. Elle garde deux jeans, trois t-shirts, un blouson, un ordinateur, qu’elle met dans un sac de sport, car elle va à la piscine nager, beaucoup nager. Elle devient une vraie butch, avec « le dos et les épaules musclés, les cheveux courts, bruns un peu gris devant, le détail d’un Caravage tatoué sur le bras gauche, et Fils de Pute, calligraphie soignée, sur le ventre ». Elle est dure de caractère, ne laisse rien passer, les sentiments dégoulinants elle n’aime pas ça. Dès l’incipit, on est avertis : « Je ne vois pas pourquoi l’amour entre une mère et son fils ne serait pas exactement comme les autres amours. Pourquoi on ne pourrait pas cesser de s’aimer. Pourquoi on ne pourrait pas rompre. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas s’en foutre une bonne fois pour toutes, de l’amour, de l’amour prétendu, de toutes les formes d’amour, même de celui-là… » Elle aime lire Bataille, Duvert, Guibert. Elle aimerait être un gay, un pédé comme elle l’écrit.
Elle n’est pas tendre, ni envers les autres ni envers elle; le titre du roman sonne alors comme un appel. Son style n’est pas du tout accrocheur. Les phrases sont courtes, elles éclatent comme un coup de feu; les mots sont brutaux comme les réflexions de Constance, aiguisées comme une arme. Pour la narratrice, la famille est un enfer, ça ne sert qu’à produire de la haine, ça rend fou, le mariage pour tous c’est du faux. « Je ne suis pas une mère…. Qui voudrait l’être? À part celles qui ont tout raté? » Voilà, on est donc avertis, on sera peut-être choqués par ce roman sans concession. Mais cela fait du bien d’être bousculé, d’être violenté comme ça.
La violence, justement, pour ceux et celles qui l’ont lu, Édouard Louis connait ça. Il l’a disséquée dans En finir avec Eddy Bellegueule (2014), Histoire de la violence (2016) et Qui a tué mon père (2018), tous parus au Seuil. Au cœur de la violence est une pièce de théâtre écrite avec la collaboration du très connu metteur en scène allemand Thomas Ostermeier. Une histoire vraie dont a été au courant à cause du procès que Louis a intenté à Réda qu’il a rencontré un soir de Noël, qui l’a violé et volé. C’est ce soir-là que décompose la pièce, avec Édouard, Réda, la sœur d’Édouard, les deux policiers, les deux infirmiers et les deux médecins comme personnages. Réflexion sur la misère, le racisme, la différence sociale, le désir, la pièce est très moderne dans les points de vue représentés et dans sa discontinuité. Divisée en huit « actes », coups de tambour qui ponctuent la pièce, elle est nous fait entrer de force dans une immense pensée intérieure, contradictoire, implacable, dense. Le livre est publié avec des photos du spectacle qu’Ostermeier a mis en scène. On ne peut qu’espérer qu’elle soit un jour prochain jouée à Montréal, par exemple au Festival Trans Amériques.
Love Me Tender / Constance Debré, Paris, Flammarion, 2020, 188 p.
Au cœur de la violence / Édouard Louis et Thomas Ostermeier, Paris, Éditions du Seuil, 2019, 143 p.