Jeudi, 30 novembre 2023
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    En finir avec le masculin et le féminin

    En mai dernier, en complétant le questionnaire du recensement, je me suis défini comme non-binaire. Snobisme de ma part d’être dans le vent, provocation pour ne pas avoir à se définir par mon sexe biologique, plaisanterie devant toute demande qui tend à vous enfermer dans des petites cases? Peut-être un peu de tout cela mais surtout parce que je m’inscris dans une démarche politique pour contester tout ce qui nous réduit, nous fige, nous épingle comme des papillons, laissant par la même de côté toute la complexité qui fait, qui a fait et qui fera ce que je suis aujourd’hui, comme pour tout le monde.


    Bien sûr, non-binaire est une étiquette dont la définition, communément admise, serait ni strictement homme ni strictement femme, mais entre les deux, un mélange des deux, ou aucun des deux. Une définition dont le prisme est très large. Cette étiquette laisse poindre une grande ouverture, comme un lieu dont, par un coup de baguette magique, on faisait tomber les barreaux de la cage. La possibilité nous est alors donnée de nous autodéterminer et d’être en plus grand accord avec soi-même sans se plier à de nombreuses normes sociales souvent contraignantes quand on se rend compte qu’il nous est difficile de nous y conformer.


    Tout d’abord, le matin, quand je me lève et qu’après le rituel physiologique sur le bol de toilette, je me regarde dans la glace: je ne suis ni homme, ni femme, ni vieux, ni gai, ni Français expatrié, ni néo-Québécois, ni riche, ni pauvre, je suis comme tout être humain qui se réveille, à la seule différence que j’ai peut-être, comme seule singularité, très souvent la tête dans le cul. Mais cela ne vous forge pas une identité, seulement un indicateur comportemental que je ne suis pas du matin.


    En fonction des événements de la journée, les différentes identités qui me composent vont prendre plus ou moins de place, être plus présentes ou plus discrètes, et surtout elles vont interagir entre elles, se fondre, voire se dissoudre un moment, car elles ne sont jamais figées, et en constante évolution et ébullition. Je peux alors être perçu comme gai, mais le sens que j’y mets derrière a évolué depuis l’âge de ma sortie du placard à 17 ans (autopromotion d’un pionnier).


    Il faut donc user de prudence et surtout ne pas s’enfermer dans des certitudes intangibles puisque même ma façon d’être gai, si tant est que j’en ai une, est aussi teintée par mes origines sociales, mes études, mes expériences professionnelles, ma culture d’origine et les lieux où j’ai vécu. Et bien sûr, pour lire le monde, lire les autres et me lire, en utilisant des concepts et des mots que d’autres ont établis, façonnés, institutionnalisés… et imposés comme des normes auxquels nous devrions nous référer, que nous devrions adopter même, si nous ne nous y sentons pas à l’aise, même si parfois elles nous font souffrir.


    Le mal à l’aise, je l’ai ressenti très jeune avec les notions de masculin et de féminin et combien ces deux épithètes, qui seraient la base caractérisant la différence entre les hommes et les femmes, étaient un obstacle. Quand on se réfère à nos émotions, à nos comportements, et même plus superficiellement, dans le choix de tel ou tel vêtement, il y a toujours en toile de fond deux grilles au-dessus desquels brillent, comme des néons de bar, Féminin ou Masculin. On parle du côté féminin des hommes, un aspect d’eux-mêmes qu’ils doivent développer pour certains ou complètement annihilés pour d’autres. De même pour les femmes dont certaines rejoindraient la grille titrée Masculin. En somme d’être toujours dans l’opposition, mais une opposition qui n’a rien d’égal. Car, encore bien trop souvent chez un homme, la masculinité est valorisée et la féminité dévalorisée. De même, une femme perçue comme masculine se rangerait dans la catégorie des usurpatrices, soupçonnée de s’arroger les prérogatives dites masculines, comme le pouvoir, l’autorité, etc.


    Pourtant la vie courante nous montre que ce joli découpage et classement en bleu et rose ne tient pas la route. Les exemples montrant les limites et souvent l’absurdité de cette séparation à partir d’attributs physiques distinctifs sont nombreux. Il suffit de prêter attention à la vie des autres pour s’en rendre compte. On pourrait gloser de la même façon en parlant de races, d’ethnies, etc. En réduisant chacun et chacune (je déteste l’écriture inclusive, je préférerai de loin une écriture non-genrée) à une liste de caractéristiques qui seraient propres à sa communauté quelle qu’elle soit à n’être que cela.


    En revanche, il est bon de revendiquer une caractéristique particulière, de la mettre en avant quand, par son existence, elle est utilisée pour stigmatiser, condamner, voire détruire ladite communauté. Je défendrai mon identité de gai haut et fort (même si celle-ci est mouvante, avec des frontières poreuses) aussi longtemps que l’homophobie et la transphobie existeront. Et par extension, et par l’expérience de minoritaire discriminé et rejeté, j’ai une grande sensibilité face à toute communauté ou catégorie humaine qui ne se retrouverait dans la doxa dominante et dans la bonne case.


    Sans tomber dans un discours à la Miss Monde qui déclare qu’elle est pour la paix dans le monde et qu’elle souhaite que les enfants ne meurent plus de faim (kleenex dans la main pour essuyer une larme bien sentie avant qu’elle ne fasse couler le mascara), je pense que nous pouvons faire notre petite part.


    Mais comment faire sortir de notre vocabulaire ces deux mots, masculin et féminin, qui viennent le plus souvent nous embrouiller plutôt que nous apporter un peu de lumière. Dès que nous les utilisons, même si précédés ou suivis de précautions oratoires, nous renforçons malgré nous ces deux grandes catégories et ce qu’elles peuvent contenir de dépréciatif, d’inégal et d’injurieux aussi bien pour les hommes que pour les femmes.


    En ce sens, en me définissant comme non-binaire, en ne me reconnaissant pas dans l’un ou l’autre de ces deux ordres, ni l’un ni l’autre ne peuvent me définir, ou rendre compte de la façon de je me perçois, de la façon dont je vis.

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