Il y a une contradiction surprenante. Ils ne cessent de crier à la censure et pourtant ils sont de plus en plus présents et de plus en plus entendus. Les dernières élections, qu’elles soient en Europe ou encore aux États-Unis, les ont rendus encore plus vocaux et plus visibles. Qu’ils soient chroniqueurs, politiciens, artistes, ils ne cessent de se plaindre de ce qu’ils ont appelé le « wokisme ». Grâce aux réseaux sociaux, entre autres, ils sont suivis par un nombre considérable de fans qui devrait pourtant nous alerter sur le virage qui se prend.
De plus, les dernières élections en Europe, tout comme au sud de la frontière, démontrent sans nul doute une montée de la droite et de l’extrême droite, ce qui les conforte dans leur croisade pour défendre ce qu’ils appellent les valeurs traditionnelles malmenées aujourd’hui. Tout y passe alors : les femmes, les gais, les lesbiennes, les trans, soupçonné.e.s de porter tous les maux de la terre, ou encore, pour certains religieux, d’être des suppôts de Satan. À quand des bûchers sur les places publiques pour réduire en cendres les mécréant.e.s que nous serions ?
Cette tendance n’est pas récente. Depuis plusieurs années, ce discours est porté le plus souvent par des hommes hétérosexuels qui voient le pouvoir qu’ils se sont arrogé depuis des siècles être menacé.
Le patriarcat remis en question, ça ne passe pas. Il suffit de lire les pleurnicheries de Mathieu Bock-Côté dans ses chroniques pour s’en convaincre.
Cependant, lorsque l’on regarde notre monde, ce fameux patriarcat ne semble pas près de s’écrouler. Nous n’avons fait que l’égratigner et ses partisans crient au meurtre. Qui dirige ? Qui gouverne ? Qui déclare des guerres ? Qui possède les plus grandes fortunes du monde ? Qui dirige les plus grandes entreprises ?
Des hommes. Qui doit se soumettre à des codes vestimentaires ? Qui n’a pas accès à l’éducation ? Qui remporte toutes les médailles en matière de meurtres dans le milieu familial ou dans la rue ? Qui ne bénéficie pas encore d’une pleine et totale égalité tant légale que sociale ? Les femmes. Et les minorités sexuelles ne sont pas mieux loties. Difficile alors de se sentir ému par le discours victimaire des masculinistes de tous poils. À peine égratignés et ils crient au meurtre ! Insensés.
Ces dernières années, les minorités ont fait quelques petits pas. Plus grands, comme ici, ou encore comme dans les autres pays occidentaux. Dans d’autres, elles n’ont fait que frapper à la porte et celle-ci est encore loin de s’ouvrir.
Le constat que je viens de faire est partagé par plusieurs. Même au plus haut niveau au Québec. La ministre responsable du Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie, Martine Biron, n’a pas hésité, devant un public captif, à souligner cette recrudescence des discours et des actes allant à l’encontre de nos valeurs. Elle l’a fait lors du lancement du Plan de lutte contre l’homophobie 2023-2028 en décembre 2023, tout comme lors de la dernière conférence d’ÉGIDES, en novembre 2023, ou encore récemment lors du Gala Émergence en octobre dernier. Mais devant un parterre de convaincu.e.s, ou encore entre des représentant.e.s 2SLGBTQ+. On aurait pu espérer que ses déclarations soient accompagnées de propositions d’actions concrètes dépassant la simple reconduction avec augmentation du financement des organismes communautaires. On aurait peut-être aimé qu’elle fasse état de ce constat sur la place publique, qu’elle rappelle les valeurs défendues au Québec.
On peut penser qu’il s’agit d’un choix stratégique : on ne veut pas s’aliéner une partie de la population conservatrice qui pourrait jouer contre le gouvernement actuel lors d’un prochain rendez-vous électoral. Il en va de même des organismes communautaires qui ont toujours les mêmes réponses quand on les interroge sur leur inaction face à cette montée des discours haineux. L’un de leurs premiers arguments est qu’il ne s’agit pas de leur mission. Le second tient au fait qu’ils ne prennent pas position publiquement, car ils ne veulent pas donner plus de visibilité aux opposants, comme si ces derniers avaient encore besoin de visibilité. Le troisième, c’est qu’ils sont liés à ceux et celles qui les subventionnent, institutions publiques ou privées, ce qui restreindrait leur liberté de parole et d’actions.
En revanche, off the record, ils font le même constat. Publiquement, on reste dans son coin. Cette stratégie du silence est aussi liée à une peur de voir naître un débat social dérangeant pour les organismes et dont nous risquerions de sortir perdants. Pour la ministre, on peut également penser qu’il s’agit d’une question électorale : on ne veut pas s’aliéner une partie de la population conservatrice qui pourrait jouer contre le gouvernement actuel lors d’un prochain rendez-vous électoral.
Une stratégie compréhensible, mais qui montre aussi ses limites et qui peut, à la longue, être totalement contre-productive. On en voit déjà les conséquences chez nos voisins du sud. Restriction des conditions pour avoir accès à l’avortement, des règlements plus restrictifs pour l’accès aux transitions des plus jeunes, et ce n’est qu’un début, puisque le nouveau président américain n’est pas le plus sensible à nos réalités, loin de là.
Si on retourne dans un passé pas si lointain, bien des avancées sociales sont venues de la base, on pense aux ouvriers, mais également aux grandes manifestations de femmes. Plus récemment, c’est grâce à des groupes militants d’ici et d’ailleurs que des avancées notables ont pu être faites. Ce n’est pas en restant chez soi. C’est en sortant dans la rue, en occupant l’espace médiatique et en négociant de façon serrée, voire houleuse, que nous avons pu obtenir des changements légaux. Il suffit de relire l’histoire pour la reconnaissance des conjoints de même sexe et l’accès au mariage. Histoire précédée par celle des militants VIH-sida qui avaient décidé non seulement de parler, mais surtout d’agir.
Devrons-nous attendre un réveil trop brutal face à ce qui nous est promis par tous les Trump, Poutine et peut-être bientôt, chez nous, un Poilièvre, et tous les autres de ce monde, pour nous réveiller ? Le silence des pantoufles est parfois plus inquiétant que le bruit des bottes.