Figure incontournable des milieux culturels et médiatiques LGBTQ+ au Québec, Yves Lafontaine est bien plus qu’un journaliste, un cinéaste ou un programmateur. Il est un passeur de mémoire, un créateur d’images, un bâtisseur de récits et un témoin engagé de plusieurs décennies de luttes, d’avancées et de culture queer.
Surtout connu comme rédacteur en chef et directeur du magazine Fugues — poste qu’il occupe depuis plus de 30 ans —, il s’est illustré aussi bien dans le journalisme, le cinéma que dans la programmation culturelle, contribuant à façonner le paysage LGBTQ+ contemporain du Québec.
De l’école au cinéma expérimental
Né à Montréal, en 1965, Yves Lafontaine effectue ses études secondaires au Collège de
Montréal, puis poursuit au Collège André-Grasset, où il dirige le journal étudiant La Greffe. Il obtient un baccalauréat en marketing à HEC Montréal, avant de bifurquer vers ce qui est l’une de ses grandes passions : le cinéma. Il complète une formation universitaire en études cinématographiques à l’Université de Montréal, où il s’inscrit dans une mouvance de jeunes cinéastes expérimentaux actifs à la fin des années 1980 et au début des années 1990.Il réalise quatre courts métrages primés : Mémoire de lavoir, Corpusculaire, L’homme hippocampe et, surtout, J’entends le noir (with English subtitles), qui lui vaut, en 1991, le prix Claude-Jutra pour la relève. Son œuvre cinématographique se caractérise par une écriture visuelle sensible, des textes introspectifs, souvent à la frontière du poétique et de l’expérimental. Durant cette période, il travaille aussi comme assistant ou directeur de production sur quelques films, et cofonde en 1990 une coopérative (Images en Stock) dédiée à la distribution de courts et moyens métrages québécois.
De l’image au mot : l’engagement éditorial
Parallèlement à ses activités cinématographiques, Yves Lafontaine multiplie les collaborations dans la presse écrite. Il écrit notamment pour la revue 24 Images de 1988 à 1995, où il signe critiques de films et entrevues. Il avait également été très actif dans le journalisme étudiant. En février 1994, il rejoint le magazine Fugues et en transforme rapidement l’approche. Sous sa plume et sa direction, Fugues passe d’un guide de sorties à un véritable magazine d’information, de réflexion et de culture LGBTQ+, avec une portée nationale. Il en devient rapidement rédacteur en chef, puis directeur à partir de 2002. Il insuffle une vision inclusive et sensible aux réalités plurielles et aux enjeux émergents. Sous sa gouverne, le magazine se fait à la fois chroniqueur des combats LGBTQ+ et gardien d’une mémoire communautaire vivante. Rappelons que Lafontaine a également dirigé plusieurs autres publications LGBTQ clés du Québec, dont entre autres, le journal bilingue Village (1996-1998), le Guide Arc-en-ciel / Quebec Rainbow Guide (1998 à 2019) et le magazine DécorHomme (2007 à 2023), aujourd’hui intégré au contenu de Fugues.
Programmation et militantisme culturels
Entre 1993 et 1999, il joue un rôle majeur dans Diffusions gaies et lesbiennes du Québec (DGLQ), qui organisait alors le festival de cinéma image+nation. Il y assume la direction de la programmation et des communications, contribuant à faire du festival un espace de diffusion central pour le cinéma LGBTQ+ local et international. Et, avec René Lavoie, il organise en 1995 le premier Festival du film sur le VIH/sida à Montréal, qui connaît une seconde édition en 1996. Ce projet pionnier place dès cette époque les enjeux de santé communautaire et de représentation au cœur d’une programmation culturelle. On lui doit aussi les expositions thématiques suivantes : 30 ans d’homosexualité au Québec (à l’Écomusée du Fier Monde en 2014) ; Les dessous de Fugues (aux Archives gaies du Québec, en 2024) ; 40 ans — Fugues se souvient… encore (exposition publique lors du Festival Fierté Montréal en 2024).
Un bâtisseur discret, mais essentiel
Peu porté sur la mise en avant de lui-même, Yves Lafontaine a préféré donner la parole aux autres. Pourtant, sans son action, de nombreux récits, artistes, événements et réalités LGBTQ+ du Québec n’auraient pas trouvé autant d’écho médiatique ou de visibilité culturelle. Son influence, discrète mais constante, a marqué et continue de marquer le paysage médiatique et artistique québécois. À travers ses multiples engagements, Yves Lafontaine incarne une mémoire vivante et active, un artisan du récit collectif queer, un acteur essentiel de la culture LGBTQ+ francophone. »
Note : Ceci est l’avant-dernier article que Serge Fiset a fait parvenir à Fugues, en octobre 2024, à la rédaction avant son décès, fin décembre.
SOURCES : Jean Siag, « Les 35 ans de Fugues : grâce aux vents et marées ! » La Presse, https://www.lapresse.ca/societe/2019-08-18/les-35-ans-de-fugues-grace-aux-vents-et-marees
« Le magazine Fugues : 40 ans d’évasion », Magazine Rebel https://rebel-lemag.com/le-magazine-fugues-40-ans-devasion/
Longue entrevue radio à l’émission The Bridge sur les ondes de la CBC :
« There’s so much we don’t know about the behind-the-scenes of Fugues Magazine »,
https://www.cbc.ca/player/play/audio/1.7187210
« Entre l’artiste et l’homme d’affaires », Fugues, 26 février 2014
J’entends le noir (with English subtitles) — La Cinémathèque québécoise, sur www.cinematheque.qc.ca
« Les « Héros 2006 à qui on a rendu hommage », Fugues, novembre 2006.