Le réalisateur James Whale a transformé le cinéma de genre des années 30, en y insufflant une esthétique inédite et une touche d’irrévérence. À une époque marquée par le conformisme, il assumait ouvertement son homosexualité et glissait des références subtiles à ce sujet dans ses films. Le vidéaste Matt Baume propose un portrait fascinant de ce cinéaste hors du commun.
Le documentaire explore la vie et la carrière de James Whale, un réalisateur britannique surtout connu pour ce qui est maintenant considéré comme des classiques du cinéma d’horreur, notamment « Frankenstein », « La Fiancée de Frankenstein » et « L’Homme Invisible ». Issu d’un milieu très pauvre, dans une ville ouvrière d’Angleterre, sa jeunesse est marquée par les traumas de la Première Guerre mondiale où il fut fait prisonnier, puis par sa découverte du théâtre comme moyen d’expression.
Après la guerre, il s’installe à Londres où il embrasse ouvertement son homosexualité. Son succès en tant que metteur en scène de théâtre, où il introduit des effets sonores inédits, lui ouvre les portes d’Hollywood. Whale réalise plusieurs films pour la Universal et rencontre le succès dans l’horreur, grâce à sa capacité à mélanger gothique, humour noir et éléments subversifs. À une époque où la censure tentait de contrôler le contenu de tous les films, il réussit notamment à introduire des clins d’œil à l’homosexualité pour qui sait bien les saisir au vol.
Les sous-textes queers
Dans « Frankenstein » (1931), la création de la vie sans femme, par la science, constitue déjà une métaphore puissante et une rupture choquante avec la morale. De même pour une tension flagrante entre le docteur Henry Frankenstein et son assistant, qui semble dépasser une simple collaboration scientifique : le scientifique délaisse d’ailleurs sa fiancée pour « créer la vie » en compagnie de son assistant.

Cette idée se radicalise dans « The Bride of Frankenstein » (1935), considéré comme son film le plus « camp ». Le personnage du Dr Pretorius, excentrique et raffiné, incarne une figure queer par son rejet des normes et son projet de « créer » en dehors des règles sociales. Le ton ironique, les dialogues sophistiqués et les décors gothiques exagérés renforcent cette lecture. Même la fiancée, façonnée par les deux savants, en refusant le compagnon qu’on lui destine, semble rejeter le modèle matrimonial imposé par la société. Dans « The Old Dark House » (1932), Whale met en scène une galerie de personnages étranges et ambigus, parmi lesquels Horace Femm, sarcastique et efféminé, souvent interprété comme une figure queer implicite.

La maison isolée devient un espace où les identités divergentes trouvent refuge, reflétant la fascination de Whale pour la marginalité. Au-delà des personnages, Whale insuffle à ses films une esthétique théâtrale et un humour grotesque qui déjouent les codes virils dominants d’Hollywood. Sans jamais être explicite, il fait de son cinéma un espace où la différence peut s’exprimer, malgré une censure généralisée.
Vie personnelle et professionnelle
La vidéo aborde également les relations personnelles de Whale, notamment avec le producteur David Lewis qui partagea sa vie jusqu’en 1952. Whale se lasse éventuellement des films de monstres et se tourne vers d’autres genres, notamment la comédie musicale “Show Boat“. Cependant, il est confronté à des pressions politiques croissantes, notamment les tentatives de l’Allemagne nazie d’influencer le contenu de son film « The Road Back » (1937), invoquant qu’il présentait une image déformée du peuple allemand et du nazisme.

Il se retire éventuellement du cinéma alors qu’il lutte contre la maladie et la dépression. Sa mort dans sa piscine en 1957 a suscité des interrogations, mais est désormais considérée comme un suicide. Le cinéaste laisse une œuvre riche et marquante qui a influencé les productions des décennies suivantes, incluant notamment le « Rocky Horror Picture Show ».
Une vidéo fascinante de 90 minutes, truffée, comme Matt Baume en a l’habitude, de nombreux extraits et anecdotes.
INFOS | Frankenstein’s Gay Maker: James Whale, The Queen of Hollywood / Matt Baume.

