Guerre froide, agents doubles, armes atomiques, milieux interlopes, personnification féminine et questionnement identitaire, de même qu’aventure et passions interdites sont au cœur de la toute première série d’espionnage québécoise qui met en scène IXE-13, l’as des espions canadiens !
La Seconde Guerre mondiale vient à peine de se terminer et les soldats sont de retour au pays, cherchant à en oublier les horreurs. Jean Thibault (Marc-André Grondin), alias l’agent IXE-13, n’est pas différent des autres, mais se retrouvera bien malgré lui mêlé à un complot menaçant une paix encore trop fragile. Propriétaire du cabaret Le Crystal, situé dans le Red Light, en compagnie de son vigoureux frère d’armes, Marius Lamouche (Hugolin Chevrette), il se voit confier une nouvelle mission par Roxane Racicot (Julie Le Breton), secrétaire du ministre des Affaires étrangères, et Victor Laporte (Vincent Leclerc), directeur des services de contre-espionnage.
Deux forces cherchent à s’emparer de réserves d’uranium pour créer une bombe : l’URSS qui souhaite imposer une vision communiste et une cellule nazie québécoise, qui tente de remettre de l’avant la suprématie aryenne. Bref, rien pour rassurer l’agent des services secrets canadiens qui affronte également la propension au déni de Mackenzie King, un premier ministre adepte de spiritisme qui, fait réel, préfère baser ses décisions sur les conseils de sa mère… décédée il y a 30 ans. La série navigue également à travers un Québec en pleine mutation, la guerre ayant fait office d’accélérateur culturel et identitaire.
C’est le cas d’un ancien soldat qui se réinvente sous les traits de Loulou (Pier-Gabriel Lajoie), une artiste de cabaret. La série ne se contente par ailleurs pas de balancer une vague référence à la réalité queer, mais développe au contraire le personnage sur trois épisodes. Celle-ci est allègrement courtisée par le très athlétique Marius et, lorsque le scandale sur son identité éclate, celui-ci se contente de hausser les épaules en bredouillant que « ça ne paraissait pas tant que ça ». Un récit qui s’inspire clairement de l’histoire de Christine Jorgensen, un soldat américain devenu chanteuse de cabaret et première personne à avoir subi une réassignation sexuelle dans les années 50 (elle s’est d’ailleurs produite à Québec, au cabaret Chez Gérard, en 1958). Le scénario truffe astucieusement le récit de nombreux autres clins d’œil à l’histoire.
C’est notamment le cas d’un décrypteur qui trouve la mort en croquant une pomme empoisonnée au cyanure, alors qu’il procède au décodage de messages chiffrés. Une fin identique à celui d’Alan Turing, célèbre mathématicien britannique à qui on doit le décryptage de la machine Énigma utilisée par les nazis. La série est basée sur les très populaires romans de Pierre Saurel, pseudonyme de Pierre Daignault, publiés de 1947 à 1966. Il s’agit cependant de la première vraie tentative de rendre à l’écran l’esprit de ces derniers.
La tension est palpable et les codes propres à l’univers des films noirs sont élégamment transposés à l’écran, entrelaçant passion torride, milieu interlope, meurtres crapuleux, médecins nazis, trahisons en tous genres et curé amateur d’explosifs. Il faut souligner une reconstitution historique à la fois soignée et fantasmée, ne lésinant pas sur des décors élaborés, les voitures d’époque et une surabondance de volutes de cigarette. De même pour une conclusion qui décrochera sans aucun doute la mâchoire de plusieurs.
L’exaltation un peu ampoulée des saluts nazis verse parfois dans la démesure, mais après tout, c’était la marque de commerce des adorateurs d’Hitler. À noter que le Québec de cette période a bien été marqué par un mouvement pronazi rassemblé autour d’Adrien Arcand et de son Parti national social-chrétien. On aurait cependant souhaité un resserrement des personnages puisque la série a tendance à un peu trop les disperser, ce qui ne permet parfois pas l’approfondissement requis. C’est le cas de Loulou, évacué trop rapidement, mais également de deux espions afro-québécois qui intègrent le récit un peu trop tardivement.
Finalement, si le concept d’un enjeu nucléaire à Montréal peut sembler farfelu, c’est cependant un fait historique avéré. Comme le rappelle l’auteur Gilles Sabourin dans le livre Montréal et la bombe, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Université de Montréal cachait un laboratoire où « pas moins de 580 chercheurs […] unissent leurs cerveaux pour faire avancer les connaissances sur l’énergie nucléaire. »
INFOS | Les huit épisodes d’IXE-13 et la course à l’uranium sont disponibles sur le Club Illico.