Le 6 mai 1933, un pillage doublé d’un autodafé survient à l’Institut de sexologie (Institut für Sexualwissenschaft) de Magnus Hirschfeld, un organisme privé qui constitua le premier centre de recherche et de soutien aux minorités sexuelles.
L’événement est généralement présenté sous l’égide d’une destruction pure et simple des collections, mais, comme l’indique le titre de cet ouvrage, il faut plutôt parler d’une bibliothèque dispersée. Difficile d’imaginer qu’un tel centre ait pu voir le jour dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, mais c’est cependant ce qui survint, à Berlin, lorsqu’il y ouvrit ses portes le 6 juillet 1919.
Il faut dire qu’une véritable révolution culturelle et sociale agitait alors la capitale allemande, du moins jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler et d’une prolifération de pillages nazis. Bien que l’existence de l’autodafé soit indéniable (les archives et plus de 10 000 ouvrages de l’Institut furent brûlés), l’histoire de l’Institut ne s’est par terminée avec cet événement tragique, bien au contraire.
En effet, certains documents ont survécu au pillage, mais c’est avant tout son héritage intellectuel et spirituel qui fut maintenu bien vivant, et ce, que ce soit au cours des deux dernières années vécues par Magnus Hirschfeld, que de ses collaborateurs disséminés à travers le monde qui l’ont eux-mêmes propagé dans leurs propres écrits et actions.
L’ouvrage de Soetaert offre un portrait précis et fort bien documenté de l’histoire de l’Institut, de même que le parcours de ses partisans, activistes et alliés qui en ont assuré la survivance. Alors que l’autodafé nazi visait le gommage d’une pensée queer émergente, le maintien de ce vaste réseau a fait en sorte qu’elle ne sombre pas dans l’oubli et que de nouvelles générations puissent, tout au contraire, s’y appuyer et l’enrichir.
Bibliothécaire rigoureux, Hans P. Soetaert a réalisé un travail archivistique exemplaire afin de reconstituer le parcours et les pérégrinations des multiples acteurs et documents concernés. Il faut d’ailleurs souligner la richesse des reproductions photographiques et des coupures de presse qui ponctuent la lecture de l’ouvrage.
La somme de ces recherches s’incarne avec éloquence dans un ouvrage de plus de 800 pages, incluant un nombre titanesque de notes de bas de page, ce qui en alourdit malheureusement la lecture. Cela dit, le malheur des uns fera le bonheur des autres, puisque les historiens seront sans doute heureux de pouvoir suivre à la trace la source de chacun des faits ou des affirmations.
Le récit de survivance de cette bibliothèque dispersée démontre la force des communautés qui, malgré le drame qui agitait le monde, ont réussi à préserver la mémoire d’une pensée identitaire forte.
INFOS | The Scattered Library : The Various Fates of the Remnants of Magnus Hirschfeld’s Institute of Sexual Science Collection in France and Czechoslovakia, 1932–1942 / Hans P. Soetaert. [Stuttgart, Allemagne] : Ibidem Press, 2024, 838 p.