Le hamman demeure un lieu empreint de mystère. Dans ce premier roman, Souleiman Berrada explore avec finesse la mémoire des sens de ces bains duquel s’échappent d’enivrantes volutes de vapeur. À travers une mosaïque de souvenirs d’enfance et d’adolescence, le narrateur revisite ces lieux où la découverte de soi s’opère dans une atmosphère feutrée, chargée de mystère et de sensualité. Ces espaces deviennent le théâtre silencieux d’une fascination grandissante pour les corps, éveillant des désirs inavoués, et catalyseur d’une identité en devenir.
Ce monde clos, peuplé de regards furtifs, offre au narrateur une transition subtile entre l’innocence de ses premières émotions et la maturité des sens. « Pourquoi Dieu a-t-il créé la beauté s’il est illicite de la toucher, de la mordre pour lui laisser la marque de mes dents ? me demandais-je. Si seulement la beauté pouvait être libre. » L’auteur parvient avec une grande finesse à évoquer la richesse des odeurs, des textures et des bruits, tout en explorant la dimension érotique complexe qui imprègne les lieux, en tension avec les normes sociales et religieuses qui l’entourent. « Je regardais la beauté, presque une heure agréable à observer, à reluquer, à respirer son parfum ambré et chaud, à me heurter aux irrégularités de la chair, aux mouvements du modèle qui brisaient l’unité de la lumière.
Je m’enroulais dans des cheveux noirs, blonds, enchevêtrés, de musc parfumés, je humais, me pâmais, glissais vers la nuque longue, charnue, rafraîchissante, de la nuque vers les épaules larges, fragiles comme des petites feuilles duveteuses, des épaules vers des aisselles soyeuses, marmoréennes, des aisselles vers le dos, je m’arrêtais une seconde, de la ferveur, de la pitié, de la beauté, pas de place, je glissais inopinément sur ce dos souple, droit, velouté, imposant, brillant autant qu’un ruisseau, puis les fesses rondes, ovales, élastiques, bienveillantes, mauresques. » Un texte envoûtant, salué par la critique, qui soulève le voile d’un espace généralement confidentiel et renoue brillamment avec la tradition de la littérature érotique arabe.
INFOS | Le baigneur / Souleiman Berrada. Mézidon : Éditions Le Soupirail, 2025. 124 p.