Vendredi, 3 octobre 2025
• • •
    Publicité

    Sandbag Dam ou quand l’amour retenu est prêt à resurgir

    Le fleuve traverse Sandbag Dam comme une vérité indicible, toujours contenue, toujours menaçante. Dans le film à la fois tendre et sans compromis de la réalisatrice croate Ceen Cernic Canak, cette eau qui gronde devient le reflet d’une autre force : le désir retenu, l’attirance enfouie, le poids du silence.

    Au centre du récit, Marko (incarné par le remarquable Lav Novosel), adolescent d’un village croate où la virilité se mesure aux bras de fer et aux petites amies, voit son univers basculer lorsque revient Slaven (Andrija Žunac), son ami d’enfance. Ce dernier, jadis surpris avec Marko dans un moment d’intimité, avait été chassé par ses parents. Parti à l’étranger, il ne revient que pour l’enterrement de son père. Les retrouvailles sont chargées de regards furtifs, de silences lourds, de rancunes anciennes. Marko a choisi de rester, de se conformer aux attentes, de bâtir des murs : la force physique héritée de son père, une copine qu’il n’aime pas vraiment, une façade virile sans faille. Mais sous cette digue de sable, la crue des sentiments ne demande qu’à resurgir. Avec la caméra nerveuse de Marko Brdar, la réalisatrice filme au plus près le corps de Marko, resserrant le cadre à mesure que grandit son sentiment d’étouffement.

    Le montage de Slaven Zecevic alterne plans longs et ruptures sèches, trouvant un rythme singulier. Tout, dans la mise en scène, dit la pression : les sacs de sable alignés le long de la rivière deviennent la métaphore des murs que les familles et les voisins érigent entre Marko et Slaven. Chaque sac posé est un interdit, un non-dit, un regard accusateur. Et l’on pressent que la digue, un jour ou l’autre, cédera. La force du film repose aussi sur son interprétation. Lav Novosel, récompensé du Prix Breza du meilleur espoir au Festival de Pula, incarne à la perfection un jeune homme partagé entre fragilité et puissance. Andrija Žunac, sacré Meilleur acteur dans un rôle secondaire, impose une présence grave et retenue.

    Autour d’eux, Leon Grgic (Fico) apporte une innocence tendre, et Franka Mikolaci avec les acteurs plus âgés esquissent des portraits familiaux nuancés. Cette justesse s’explique par la longue préparation exigée par la réalisatrice : « Nous avons répété pendant sept mois. Ils étaient en première année d’école d’art dramatique et je savais que nous avions besoin de ce temps. » Plutôt que de sombrer dans la noirceur souvent associée aux récits LGBTQ+ en Europe de l’Est, Cernic Canak choisit un équilibre fragile : elle montre la peur, la brutalité, mais aussi la tendresse et la chaleur d’un premier amour. Dans ce village où « les garçons parlent avec leurs muscles » et où l’aveu des sentiments semble impossible, le lien entre Marko et Slaven devient un acte de résistance. Tout comme la rivière dont les eaux montent inexorablement, leur désir refoulé finit par imposer sa présence. Sandbag Dam retient son souffle, et dans ce silence tendu, livre l’un des récits queer les plus nécessaires et bouleversants qu’a produit la Croatie depuis deux décennies.

    INFOS | Sandbag Dam sera présenté dans le cadre de la 38e édition d’Image+Nation qui se tiendra du 20 au 30 novembre prochain.

    Du même auteur

    SUR LE MÊME SUJET

    LAISSER UN COMMENTAIRE

    S'il vous plaît entrez votre commentaire!
    S'il vous plaît entrez votre nom ici

    Publicité

    Actualités

    Les plus consultés cette semaine

    Publicité