Le film basque Maspalomas, qui sera présenté au prochain festival de films LGBTQueer de Montréal, image+nation est ce projet singulier, situé entre la lumière des Canaries et les ombres d’un foyer pour aînés. Réalisé par Aitor Arregi et José Mari Goenaga, du collectif Moriarti, ce drame délicat explore la vieillesse, le désir et la peur de se révéler à soi-même. Rencontre avec les réalisateurs de Maspalomas.
Pourquoi Maspalomas — que je ne connaissais pas — plutôt qu’un lieu encore plus emblématique du tourisme gai espagnol, comme Sitges ou Torremolinos?
José Mari Goenaga : L’idée m’est venue lors d’un voyage à Maspalomas, en 2016. J’ai découvert là un microcosme fascinant du tourisme gai — un monde à part qui méritait d’être raconté au cinéma. En parallèle, je lisais des articles sur des personnes LGBTQ+ contraintes de « retourner dans le placard » lorsqu’elles entraient en résidence pour aînés. Ces deux univers m’ont semblé dialoguer : j’ai décidé de les relier dans le scénario.
Maspalomas nous intéressait aussi pour sa dimension physique : ces dunes donnent parfois l’impression d’un paysage lunaire ou martien… où surgissent soudain des hommes nus. Et puis, c’est un endroit où l’on vient passer l’hiver de sa vie, littéralement. Je plaisante souvent en disant qu’on pourrait faire une trilogie, en tournant ensuite à Sitges et à Torremolinos!

Le film alterne entre les Canaries et la région de Saint-Sébastien. Comment avez-vous abordé ce contraste?
Aitor Arregi : Nous voulions que le spectateur ressente cette opposition. D’un côté, l’immensité et la lumière de Maspalomas; de l’autre, l’enfermement d’une maison de retraite du Pays basque. Nous avons donc choisi des couleurs plus vives, presque irréelles, pour évoquer Maspalomas depuis Saint-Sébastien, comme si l’esprit du lieu poursuivait le protagoniste.
Notre mise en scène part toujours de ce que le personnage ressent. Aux Canaries, nous avons cherché une approche presque documentaire, tandis que dans la maison de retraite, nous filmons son point le plus bas, sa solitude, pour que le public ressente pleinement ce que vit Vicente.

Vous abordez ici la sexualité à un âge avancé, un sujet rarement traité.
AA : C’est un cliché tenace : croire qu’en vieillissant, le désir s’éteint. Ce que j’ai adoré dans le scénario de José Mari, c’est justement ce double mouvement : un homme qui retourne dans le placard et une réflexion sur la sexualité tardive.
Même dans les maisons de retraite, il y a des gens qui se cherchent, qui s’attirent, et parfois qu’on doit « séparer ». Ces situations existent vraiment : la scène du film s’inspire d’un cas réel. C’est fort et bouleversant.
JMG : J’ai écrit le scénario après de nombreuses recherches et discussions avec des aînés. Pourtant, on m’a souvent demandé : « Est-ce vraiment crédible? » Cette réaction dit beaucoup sur notre société. Nous avions déjà abordé l’amour lesbien tardif dans Pour 80 jours. Mais il faut croire que la société préfère penser que les personnes âgées n’ont plus de sexualité.

Vous allez même plus loin, en montrant des jeunes attirés par des personnes plus âgées.
JMG : Oui, c’est quelque chose qu’on voit réellement à Maspalomas. Il y a évidemment beaucoup de préjugés autour de ça. Ce n’est pas courant, mais ça existe.
AA : Pour moi, cette expérience a été une vraie leçon d’humilité. Quand on ignore un milieu, on le réduit facilement à des clichés. À Maspalomas, j’ai découvert un monde d’une incroyable diversité. Et quand on en parle autour de soi, les gens sont toujours surpris.
JMG : Le film parle aussi de la tendance de la société à tout homogénéiser. Si tu ne précises rien, on te suppose hétéro, et passé un certain âge, asexué. C’est à toi d’affirmer ta différence, sinon on t’efface.
Pensez-vous que nous traversons une période de régression sociale?
JMG : Maspalomas naît justement d’une inquiétude qu’on n’aurait peut-être pas eue il y a quinze ans : celle de perdre les acquis, de voir les droits reculer. Ce que vit Vicente, c’est une métaphore intime de cette perte — une régression imposée par un système qui exerce une violence structurelle. Il faut continuer à se battre pour ne pas céder ce terrain.
AA : Si je veux rester optimiste, je dirais que le recul n’est pas à la hauteur des progrès accomplis. On ne retournera pas à 1975, dans ce placard géant.
INFOS| Le film Maspalomas sera présenté dans le cadre du festival image+nation qui aura lieu entre le 20 et le 30 novembre.

