En cette Journée du coming out (11 octobre), rappelons que pour des milliers de personnes LGBTQ+ réfugiées, vivre ouvertement n’est pas un choix
Le regard de Jalal (nom d’emprunt, à sa demande, pour préserver l’identité du réfugié) se perd dans sa tasse de café encore fumante. « C’était un matin comme les autres, dit-il. Je ne savais pas encore que ce serait le dernier que je passerais dans ma maison au Maroc. » Ce jour-là, sa mère a fouillé dans ses affaires. Elle y a trouvé des lettres, des photos. Des preuves, à ses yeux, d’une « double vie » qu’elle refusait d’accepter.
« Quand je suis rentré, elle tenait tout dans ses mains. On s’est disputés. Mon père est devenu violent. Ma mère m’a dit : “Quand il reviendra, tu devras partir, sinon il va te tuer.” »
Jalal a quitté la maison en silence, le cœur battant. Il a pris son passeport, un petit sac, et s’est réfugié dans un hôtel bon marché avant de trouver un vol pour Montréal. À son arrivée. il déposait une demande d’asile. « Je n’ai même pas eu le temps de pleurer. J’étais vidé. »
Une fuite vers la sécurité… qui tourne au parcours du combattant
Au Canada, Jalal pensait avoir trouvé refuge. Mais ce qu’il a découvert, c’est un système froid et soupçonneux, qui traite les personnes LGBTQ+ en quête d’asile comme des fraudeurs potentiels. Les autorités exigent des demandeur·euse·s qu’ils “prouvent” leur identité queer devant des fonctionnaires.
« On m’a demandé comment j’avais “découvert” que j’étais gai, si j’avais eu des relations, et même de décrire des détails de ma vie intime », raconte Jalal. « C’est humiliant. On s’attend à ce qu’on rejoue notre souffrance devant des inconnus. »
L’organisme Rainbow Railroad, qui soutient les réfugié·e·s LGBTQ+, dénonce depuis des années ces pratiques intrusives et discriminatoires. Ses recherches montrent que les témoignages personnels sont assez souvent rejetés — même ceux d’amis ou de partenaires.
« J’ai dû raconter mes traumatismes pour paraître crédible »
Aisha, une femme bisexuelle originaire du Pakistan, vit la même réalité. « Pendant mon entrevue, j’ai dû parler de choses que j’avais enterrées depuis longtemps : les menaces, les agressions, la peur constante. Et tout le long, je devais garder mon calme, parce qu’ils cherchaient le moindre signe de contradiction pour dire que je mentais. »
Comme Jalal, Aisha a quitté un pays où l’homosexualité est criminalisée. Au Pakistan, comme dans plus de 60 États à travers le monde, les relations entre personnes du même sexe sont passibles d’emprisonnement — voire de mort.
Quand le coming out devient une condamnation
La Journée nationale du coming out, célébrée chaque 11 octobre, se veut un moment de visibilité et de fierté. Mais pour des milliers de réfugié·e·s queer, « sortir du placard » signifie se mettre en danger.
Dans certains pays, les familles elles-mêmes dénoncent leurs enfants aux autorités. Dans d’autres, les voisins, les collègues ou même les professeurs peuvent être incités à signaler les “comportements déviants”.
Au Maroc, où Jalal a grandi, l’article 489 du Code pénal punit toujours les relations homosexuelles de six mois à trois ans de prison. Les applications de rencontre sont utilisées pour piéger et humilier les personnes LGBTQ+, souvent victimes de chantage ou de violences.
« Le coming out, c’est un privilège »
Au Canada, où plusieurs de ces réfugié·e·s espèrent recommencer à vivre, des organismes comme AGIR Montréal ou Rainbow Railroad leur viennent en aide. Ces organisations les accompagnent dans leurs démarches administratives, mais aussi dans la reconstruction de leur identité après des années de peur et de silence.
Comme le rappelle un bénévole de Rainbow Railroad : « Le coming out, c’est un privilège quand on vit dans un pays qui protège nos droits. Pour d’autres, c’est une condamnation. »
Une journée pour se rappeler que la liberté n’est pas universelle
À chaque année, les rues de Montréal, Toronto et Vancouver s’emplissent de drapeaux arc-en-ciel. Mais pendant ce temps, ailleurs, des milliers de personnes queer n’ont même pas le droit d’exister.
« J’aimerais pouvoir dire à mes parents que je vais bien, dit Jalal. Mais je sais qu’ils ne le comprendraient jamais. Alors, aujourd’hui, je célèbre mon coming out… en silence. »
À retenir…
• Plus de 60 pays criminalisent toujours les relations entre personnes du même sexe.
• Les réfugié·e·s LGBTQ+ doivent souvent prouver leur identité devant des agents d’immigration sceptiques.
• Au Canada, des organismes comme Rainbow Railroad et AGIR Montréal aident les personnes queer à reconstruire leur vie.
• Le coming out reste un acte de courage et de résistance, mais aussi un privilège géographique.