Tout le monde qui a visité Paris connaît au moins le boulevard de Rochechouart. Il passe au pied de la Butte-Montmartre prolongeant le boulevard de Clichy à deux pas de la Place Pigalle. Le boulevard Rochechouart est très fréquenté par les touristes comme la plus grande partie des quartiers de Paris. Mais peu savent, que de Rochechouart n’est pas un homme s’étant distingué au cours de l’histoire de la ville mais une femme. Marguerite de Rochechouart de Montpipeau, une religieuse du XVIIIe siècle qui a dirigé une abbaye de moniales bénédictines située à Montmartre.
Personne ne se souvient d’elle, et encore moins celles et ceux qui pensaient que derrière ce nom se cachait un homme. Tellement habitué à voir des noms d’hommes ornés les rues, les passages, les allées, les ponts et autres passerelles, qu’on n’y prête même plus attention. Depuis quelques années, la ville de Paris a décidé qu’il fallait remédier à la sous-féminisation des noms des artères parisiennes. Et pour commencer de signaler par l’ajout des prénoms aux noms de femmes déjà attribués à des rues. Ainsi, la rue Boucicaut est devenue Marguerite-Boucicaut, et la rue de la Rochefoucauld, Catherine-de-la-Rochefoucauld. Comme la majorité des parisien.ne.s, je n’avais jamais imaginé qu’il s’agissait de femmes même étant né et ayant passé un tiers de ma vie dans cette ville. Encore aujourd’hui, le boulevard Marguerite-de-Rochechouart, est le seul boulevard à porter le nom d’une femme.
La féminisation des noms de rues ou d’autres lieux est aujourd’hui privilégiée dès que possible. Bien entendu, des actrices, des chanteuses, des écrivaines, des femmes politiques, sont représentées. On y trouve aussi des lesbiennes, comme la place Louise-Catherine-Breslau-et-Madeleine-Zillhardt, dans le 6e arrondissement, une peintre et une écrivaine qui ont vécu en couple à Paris. Dans le 19e arrondissement, on tombe sur le passage au nom de Susan Sontag, la romancière, essayiste américaine, ouvertement lesbienne, et dans le 20e, la rue Antoinette-Fouque, co-fondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF) même si la maternité de ce mouvement lui a été contesté par d’autres femmes. Antoinette Fouque s’est aussi illustrée en créant les premières Éditions des Femmes, ce qui ne lui est pas contesté, tout en poursuivant une carrière de psychanalyste. Enfin, Monique Wittig a donné son nom à un jardin. Les noms de ces trois femmes sonneront sûrement une cloche à celleux qui ont un intérêt pour l’histoire du féminisme et celle des lesbiennes. On peut s’étonner que l’on n’ait pas associé le nom d’Alice B. Toklas à celui de Gertrude Steinpour dénommer un jardin dans le 12e arrondissement. Les deux femmes, amantes jusqu’au décès de Gertrude Stein, ont marqué la vie littéraire et artistique de la capitale dans la première moitié du XXe siècle. Il est difficile de comprendre qu’on ait pu attribuer une telle reconnaissance à l’une sans penser à l’autre. Soulignons enfin que deux chorégraphes de légendes ont, elles aussi, été choisies pour dénommer une place et une rue, Pina Bausch et Martha Graham.
Mais malgré de gros efforts, seulement 12% des rues de Paris commémorent le souvenir de femmes illustres. En parallèle de ces changements, le Collectif Nous Toutes de Paris avait déjà voulu marquer le coup, en apposant de fausses plaques, en-dessous des plaques officielles, où des noms de femmes apparaissaient pour souligner leur sous-représentation.
Une autre ouverture se fait sentir avec l’apparition des noms de personnes racisées reconnues. Ainsi, une gare de RER ainsi que son parvis ont été baptisés du nom de la militante afro-américaine, connue pour son engagement pour les droits civiques, Rosa Parks. On ne parle plus d’une obscure allée ou d’un passage confidentiel mais d’un lieu où circulent environ 85 000 voyageurs et voyageuses par jour. Bien sûr, on retrouve des rues Ella-Fitzgerald, Nina- Simone, et des jardins au nom de Nelson Mandela, dans le nouveau quartier des halles, et de Martin Luther King, dans le 17e arrondissement.
Mais ne croyez pas que de voir son nom associé à une voie soit un gage d’éternité. Il arrive que l’on débaptise comme on l’a fait récemment à Montréal avec la rue Amherst devenue rue Atateken. Ainsi en est-il pour la rue du Général-Richepanse. L’homme s’était illustré entre autres pour le rétablissement de l’esclavage aux Antilles sous Bonaparte qui, devenu empereur, nommera une rue en son nom. Une décision qui ne fut pas du goût des Antillais.e.s, on s’en doute. La Ville de Paris a choisi de renommer cette voie, Chevalier-de-Saint-Georges. Et lui, mérite qu’on s’en souvienne. Né d’une mère esclave noire, Saint Georges a réussi à se faire reconnaître par ses nombreux talents et non des moindres. Athlète, véritable maître d’armes en escrime, et violoniste virtuose, premier colonel noir de l’armée républicaine, sa vie est un véritable roman d’aventures. Et pourtant, il est tombé dans l’oubli. Les historiens émettent l’hypothèse que la couleur de sa peau et ses origines sont la raison de son effacement. Quelle surprise ! Pourtant, pour celleux qui veulent en savoir plus, il reste ses compositions qui témoignent de son immense talent, de celui que l’on a surnommé à l’époque le Mozart noir. Contemporain de ce dernier, il était bien plus connu, et sa musique bien plus jouée qu’au point que certains oseront qualifier Mozart de Saint-Georges blanc.
Faut-il être mort pour un jour peut-être voir son nom sur une rue de Paris ? Il n’y a pas vraiment de règles. L’usage voudrait que l’on attende cinq ans après le décès de la personnalité avant de prendre une décision. Mais il y a des exceptions. Ainsi le Marché aux fleurs de l’Île de la cité, haut lieu touristique, a été renommé Marché aux fleurs Reine-Élizabeth II, en 2014. Profitant d’un séjour officiel en France, la souveraine a pu elle-même dévoiler la plaque en son nom. Il semblerait qu’Élizabeth II avait un profond attachement pour ce lieu.