Dans la période trouble que nous vivons et au regard du recul auquel nous assistons pour les droits des communautés LGBTQ+, se tourner vers l’histoire de nos luttes peut être une source d’espoir et surtout un sursaut pour réagir. Avec Quand nos désirs font désordre, de l’historien Mathias Quéré, sur l’histoire du mouvement homosexuel en France, 1974-1986, c’est une piqure de rappel que nos désirs et notre parole doivent s’affirmer sans obtenir l’approbation de la majorité, des institutions. Ce qui devrait nous faire réfléchir sur nos stratégies actuelles trop souvent axées sur les compromis que sur l’affirmation de ce que nous sommes.
Il serait trop long de détailler cette longue marche des affirmations homosexuelles en France et qui prendra fin avec l’arrivée du sida. Soulignons simplement, les difficiles relations avec les partis politiques plus progressistes à l’époque en France, les relations parfois conflictuelles avec le mouvement lesbien, lui-même aux prises avec les groupes féministes qui émergeaient dans le même temps, les divergences à l’intérieur même des groupes homosexuels de l’époque ou encore les oppositions entre Paris et la province. Une histoire qui reste à découvrir selon Mathias Quéré et dont on pourrait tirer quelques enseignements.

Comment t’est venue l’idée de cette recherche sur la naissance du mouvement gai et lesbien en France ?
Mathias Quéré : Cela remonte à loin. En 2009, j’étais étudiant en Bretagne et on bloquait une université pour protester contre un projet du gouvernement qui voulait réformer l’accès aux universités. Pendant cette occupation de l’université, une amie m’a remis un bouquin dont le titre est : Rapport contre la normalité du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) publié en 1971. Et ça été pour moi une révélation, de lire que 50 ans plus tôt il y avait eu des homosexuel.le.s qui s’affichaient comme révolutionnaires, qui avait décidé de sortir collectivement du placard. Cela m’a bouleversé et je me suis mis à chercher dans les bibliothèques, les librairies, des documents, des livres, etc. qui m’en apprendraient plus. Et malheureusement, je n’ai presque rien trouvé. Mais le désir d’en savoir plus était là. Quelques années plus tard, j’arrive à Toulouse, je décide de reprendre des études et tout de suite je commence mes recherches pour en savoir plus sur ces groupes, sur cette période de l’histoire.
Il fallait aussi retrouver des témoins de cette époque, et l’on sait que beaucoup sont décédés du sida ?
Mathias Quéré : Cela n’a pas été facile au début, mais heureusement j’ai rencontré Christian Deleuze qui avait été membre du GLH (Groupe de libération homosexuelle) de Marseille, et lui m’a donné le nom de personnes à contacter, et donc j’ai pu rencontrer beaucoup de personnes qui avaient participé à ce grand mouvement de libération, mais cela a pris beaucoup de temps.
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué dans cette recherche ?
Mathias Quéré : Entre autres, c’est de voir à l’époque qu’il y avait un très grand nombre de groupes dans beaucoup de villes de France. On pense à de grandes villes, Marseille, Brest, Mulhouse, Tour, et même dans des villes moins importantes. Il y avait plus d’une vingtaine de GLH. Tout ne venait pas de Paris, et il y avait parfois des discussions houleuses puisque le CUARH (Comité d’urgence anti-répression homosexuelle) qui se voulait entre autres la vitrine des GLH avec son mensuel Homophonies était basé à Paris. Mais l’existence de ces nombreux groupes à travers la France est une des spécificités du mouvement homosexuel et lesbien de cette époque.

Bien sûr ta recherche s’arrête aux frontières de la France, est-ce que tu penses qu’il y a eu une influence liée à ce qui se passait aussi aux États-Unis, je pense entre autres aux événements de Stonewall ?
Mathias Quéré : Pas vraiment. Bien sûr les militant.e.s de l’époque connaissaient Stonewall ou encore regardaient ce qui se passait à l’étranger, mais il y a très peu de références aux États-Unis dans les premiers textes des GLH. Les États-Unis étaient considérés comme impérialiste pour le mouvement homosexuel français qui s’inscrivait dans une démarche révolutionnaire, trotskyste entre autres. Je crois que Stonewall symbolise en fait le début d’une inexorable marche vers l’émancipation, alors que l’on s’en rend compte, il y a eu beaucoup d’à-coups, et que cette émancipation est toujours en devenir. L’influence des États-Unis se fera surtout à partir des années 80, au moment où apparaissent de plus en plus de bars, de boîtes, où il y a aussi une privatisation qui s’opère avec la création de magazines qui ne sont plus issus de groupes militants.
Quelle est pour toi l’importance de connaître cette histoire ?
Mathias Quéré : Tout d’abord, parce que nous assistons à une montée des discours d’extrême-droite en Europe, aux États-Unis, et que l’histoire peut nous aider à mieux réagir. De plus, c’est le désir de la transmission de cette histoire, qui a été marquée très vite par la disparition de toute une génération par le Sida. J’avais surtout envie de rappeler des discours, des pratiques, d’ouvrir des imaginaires que l’on connaît moins, de les remettre au goût du jour, de se les réapproprier d’une certaine façon parce que c’est notre histoire.
INFOS | Quand nos désirs font désordre : Une histoire du mouvement homosexuel en France, 1974-1986, de Mathias Quéré, Lux Éditeur, Montréal, 2025, 224 pages.
En 2019, Mathias Quéré publiait aux éditions Tahin Party, Qui sème le vent récolte la tapette, une histoire des Groupes de libération homosexuels (GLH) en France de 1974 à 1979.